Chantre
d’une violence physique et formelle exacerbée (La Horde sauvage/The Wild
Bunch, 1969, Les Chiens de paille/Straw Dogs, 1971 ou encore Guet-apens/The Getaway, 1972), celui que l’on surnommait «Bloody Sam » montre dans cette séquence extraite de Pat Garrett et Billy le Kid (Pat Garrett and Billy the Kid, 1973) qu’il savait également, au
moment opportun, insuffler un romantisme et une poésie mélancolique, à des
séquences comme celle de l’agonie du shérif Baker (Slim Pickens), très grièvement
blessé à la suite d’un gunfight. Se
tenant le ventre et à moité courbé sous la douleur, Baker se dirige
difficilement vers une rivière qui serpente à travers le désert du
Nouveau-Mexique. Alors que s’élève la chanson pleine d’amertume de Bob Dylan
(le sublime et de circonstance Knockin’ on
Heaven’s Door), et sous les yeux de sa femme, Madame Baker (Katy Jurado),
le shérif s’agenouille au bord de l’eau, conscient qu’il vit là ses derniers
instants. Les yeux grand ouverts, il regarde le désert et la blancheur
déclinante du soleil qui recouvre les contours monotones de la plaine. Le ciel
bas, lourd et déprimant assombrit subitement l’environnement, alors que sa main
droite tente vainement de tarir le flot de sang qui s’écoule de sa blessure.
Mais sa vie s’en va aussi sûrement que coule la rivière vers cette ligne
d’horizon trouée d’ombres vertes. Derrière lui, filmée en contre-plongée, et
comme tenue à distance par une crainte de violer l’ultime intimité de son mari,
sa femme ne peut retenir ses larmes. À l’inverse du rôle d’Helen Ramirez, une
femme d’affaire fière et indomptable, qu’elle tenait dans Le Train sifflera trois fois/High
Noon (Fred Zinnemann, 1952), Katy Jurado donne au personnage de Madame
Baker une dimension élégiaque et crépusculaire. Son visage accablé de chagrin
n’exprime plus qu’une insondable et indicible désespérance qui contraste avec
l’harmonie de cette nature idyllique. Le mari et l’épouse se rejoignent dans
une souffrance muette, l’un le regard perdu vers un hors-champ connu de lui
seul, et l’autre cherchant à prolonger ces instants pour qu’ils restent
imprimés de manière indélébile dans sa mémoire. Sam Peckinpah filme Pat Garrett et Billy le Kid , comme une
tragédie, dans laquelle « il fait ce que ce que Nagisa Oshima a fait au
Japon : regarder la mort en face, comme le seul moment qui le mérite
vraiment, un moment plein de transcendance, de désespoir, qui met l’homme face
à l’absolu » (1). Mais ici, il n’y a pas l’immolation ou le suicide collectif de
la bande de Pike Bishop face à l’armée mexicaine du général Mapache ( La Horde sauvage), mais un homme seul, apaisé,
nostalgique de son temps révolu, qui s’apprête à franchir le Styx.
(1) Sam
Peckinpah, ouvrage dirigé par Fernando Ganzo, éditions Capricci, 2015 p.6
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