Major Dundee (Sam Peckinpah, 1965) est un film en partie renié par son réalisateur puisque celui-ci souhaitait que son nom soit retiré du générique (1), en particulier en raison de très importantes coupes réalisées au montage par le producteur Jerry Bresler. L’une de ses coupes concernait précisément ce que nous ne faisons qu’entrevoir au moment du pré-générique. Le film s’ouvre en effet, sur la première page d’un journal dont le texte est lu par une voix-off. L’action se passe au Nouveau-Mexique en 1864 alors que la guerre de Sécession fait rage, très loin, dans l’Est des États-Unis. À la tête d’un groupe de 47 Apaches, Sierra Charriba sème la terreur de part et d’autre de la frontière américano-mexicaine délimitée par le Rio Grande. Pour introduire son troisième film, après The Deadly Companions (1961) et Coups de feu dans la Sierra (Ride the High Country, 1962), Sam Peckinpah a filmé le massacre de tout un détachement de la cavalerie américaine ayant fait halte dans un ranch ainsi que tous les civils qui s’y trouvaient. Rien ne subsiste de ces images, détruites par un producteur désireux de ne pas retarder l’apparition des acteurs principaux (Charlton Heston et Richard Harris). Pourtant, cet épisode sanglant garde toute sa puissance au moment où brûle la première page du journal. Comme si la pellicule elle-même s’embrasait au contact des flammes, la destruction progressive de la page nous montre en fait l’épilogue de l’attaque du ranch avec des cavaliers apaches abandonnant les lieux, en laissant aux vautours des corps mutilés gisant sur le sol par dizaines. Élément néanmoins intradiégétique, le massacre reste ainsi dans un hors-champ qui décuple sa puissance dramatique. Le spectateur ne peut qu’imaginer l’irrésistible charge au grand galop des Apaches fondant sur leurs proies, les hurlements sauvages mélés à l’odeur de la poudre, les volées de flèches frappant les soldats avant que ceux-ci n’aient eu le temps d'armer le chien de leur fusil ou d’obéir à des ordres devenus inaudibles dans le vacarme infernal des cris et des hennissements, les corps tombant en vrille dans la poussière rouge avant d’être scalpés, et la vaine résistance de quelques-uns rapidement submergés par la horde sauvage sentant le parfum ennivrant de la victoire. Ce n’est donc que le pillage du ranch que nous voyons au fur et à mesure que la page se consume. Sierra Charriba en personne finit par apparaître sur son cheval, menaçant, alors qu’à l’arrière la tourmente et la frénésie du combat ont laissé la place à un silence sépulcral recouvrant les restes du ranch. L’incandescence de l’image, associée à la violence de la séquence ne peuvent manquer de renvoyer aux propres relations volcaniques qui existaient entre Sam Peckinpah, un auteur intransigeant, et son producteur qui, aux États-Unis, a le contrôle total du montage final: Major Dundee est ainsi amputé de 122 minutes par rapport au premier métrage qui faisait plus de 4 heures, pour arriver en 1965 à une version de 116 minutes. La version restaurée en 2005 de 136 minutes rendra (un petit peu, mais sans l’attaque du ranch) justice à son réalisateur décédé en 1984.
(1) Sam Peckinpah, un réalisateur dans le
système hollywoodien des années soixante et soixante-dix de Gérard Camy, L’Harmattan,
Champs visuels, 1997, p.42
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