dimanche 23 septembre 2018

L'amour et la haine chez Elia Kazan




Elia Kazan, dans Un tramway nommé Désir (A Streetcar Named Desire, 1951 d’après une pièce de théatre de Tennessee Williams), nous plonge dans la furie et la violence des pulsions humaines, en mettant en scène des personnages constamment au bord du gouffre. Mitch (Karl Malden, à droite des deux photogrammes), le meilleur ami de Stanley Kowalski (Marlon Brando) est tombé follement amoureux de Blanche DuBois (Vivien Leigh, à gauche des deux photogrammes), la sœur de Stella (Kim Hunter), épouse de Stanley. Héritière ruinée, nymphomane et mythomane, professeur renvoyée de l’école dans laquelle elle travaillait pour avoir fait des avances à un élève mineur, responsable du suicide de son mari, Blanche est une femme au bord de la folie, une névrosée aussi pathétique qu’exaltée, qui vient vivre chez sa soeur dans le Vieux carré français de La Nouvelle-Orléans. Désoeuvrée et toujours en quête d’un verre d’alcool, elle cherche constamment le regard des autres, accapare la parole et l’espace du taudis dans lequel vivent sa sœur et son beau-frère, tente d’exister pour oublier son passé sulfureux, et finit par séduire Mitch, qui ne demande que cela d’ailleurs, lui qui reste aveuglé par son désir de vivre une histoire amoureuse. Mais cette idylle ne dure qu’un temps. Informé par Stanley du passé et de la véritable psychologie de Blanche , Mitch cherche à briser l’envoûtement en la confrontant à ses mensonges. Le regard qu’il pose sur Blanche traduit autant la haine que l’indécision qui continue de l’habiter. Sous une ampoule dénudée irradiant la pièce d’une lumière blafarde, il la saisit violemment, la pousse et l’accule contre un mur. Tout en maintenant fermement le corps de Blanche de sa main gauche, il serre de sa main droite, le visage de celle qui ne se débat plus. Tout se joue, en effet, sur les visages et les corps, filmés en plans rapprochés. Aux yeux hallucinés de Mitch qui tentent de déchirer le voile et de percer les pensées de celle qu’il a cru aimer, répondent la supplication muette et la prostration de Blanche. La violence de la confrontation met à nu les caractères, révélant cette part d’ombre autodestructrice qu’ont la plupart des personnages du cinéma d’Elia Kazan ( Lonesome Rhodes dans Un Homme dans la foule ou encore Bud Stamper dans La Fièvre dans le sang ) et des pièces de théatre de Tennessee Williams ( Brick Pollitt dans La Chatte sur un toit brûlant ou Catherine Holly dans Soudain l’été dernier).  De manière vertigineuse, l’amour et la haine se conjuguent dans un chaos émotionnel qui submerge la moiteur de la nuit louisianaise. En 1952, la composition de Karl Malden a été récompensée par l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle, et celle de Vivien Leigh par l’Oscar de la meilleure actrice. Les graves crises bipolaires dans lesquelles cette dernière se débattait à cette époque ne font que rendre plus troublante son extraordinaire immersion dans le rôle d’une femme du Sud des États-Unis qui aurait pu être une Scarlett O’Hara (Vivien Leigh déjà dans Autant en emporte le vent de Victor Fleming, 1939) qui ne se serait jamais remise du départ de Rhett Butler (Clark Gable) et de sa fameuse réplique assassine « Frankly my dear, I don’t give a damn » (« franchement ma chère, je n’en ai rien à faire ») en réponse à la supplique désespérée de la jeune femme, « Where shall I go ? What shall I do ? »  (« Ou irai-je ? Que ferai-je ? » ).



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