dimanche 12 août 2018

L'allégorie chez Sergueï Eisenstein



Dans Alexandre Nevski (1938), Sergueï Eisenstein met en scène la bataille du lac Peïpous (5 avril 1242) entre les forces russes commandées par le prince de Novgorod Nevski et les chevaliers allemands de l’ordre du Porte-Glaive ou chevaliers teutoniques, désireux de conquérir les pays baltes et la Russie. Film de propagande commandé par Staline, Alexandre Nevski réactive cet épisode médiéval pour mieux  galvaniser les Soviétiques de 1938 face à la menace nazie qui ne cache pas ses ambitions d’étendre l’espace vital de l’Allemagne vers l’est. La haine du communisme et cette volonté expansionniste et colonisatrice de s’inscrire dans le Drang nach Osten (Marche vers l’Est débutée dès le XIIe siècle), pousseront Hitler à déclencher inévitablement la guerre contre l’URSS. L’opération Barbarossa ne débutera que le 22 juin 1941 mais, pour l’heure, Staline sent la menace. L’utilisation du cadre que fait Eisenstein reste grandiose : sur le lac gelé, la charge des cavaliers russes surgit hors de l’horizon pour se découper dans un ciel qui occupe la quasi-totalité de l’espace. Cette disproportion entre l’infiniment petit et l’infiniment grand donne toute sa poésie dramatique à la scène : la démesure de l’espace, la lumière étincelante, la charge épique irrésistible de ceux qui défendent leur patrie et qu’on devine en nombre, la légéreté de ce ciel immaculé confinent au sacré sans sa dimension théologique, mais avec la survalorisation d’un événement et d’un homme : Alexandre Nevski. L’image reste constamment au service de l’espace et de la composition particulièrement dynamique, puisque suivant la ligne de l’horizon de gauche à droite, le regard du spectateur est orienté vers le coin inférieur droit du cadre, le point fort de l’image, constitué par l’avant-garde de la cavalerie russe.  La grande profondeur de champ utilisée permet de magnifier l’élan patriotique des chevaliers tout en insistant sur la grandeur de la nation russe qui s’oppose aux hordes germaniques. Sur une musique composée par Sergueï Prokoviev, Eisenstein joue, comme dans La Grève (1927), Le Cuirassé Potemkine (1925) ou Octobre (1927), sur l’émotion suscitée par la force des  images et le discours politique qui sous-tend son point de vue : investi des pleins pouvoirs, Alexandre Nevski, appuyé par le peuple qui a répondu à son appel, mène la résistance face à l’envahisseur.  Chez Sergueï Eisenstein, comme chez Leni Riefenstahl, la cinéaste officielle de l’Allemagne nazie, le cinéma est tout autant une affaire d’État qu’un objet artistique. La quête du réalisateur russe a toujours été d’utiliser l’Histoire comme prétexte à des expériences formalistes de jeu de contrastes entre le noir et le blanc. Si cet aspect de l’image rend justice à cette conception de l’art cinématographique, il n’en reste pas moins que la dimension allégorique et prémonitoire du film, associant Nevski à Staline et les chevaliers teutoniques aux soldats du IIIe Reich, donne au film sa raison d’être. Au-delà de sa dimension manichéenne, Alexandre Nevski illustre une épopée historique et politique – à l’instar du cinéma de D.W. Griffith - dont le souffle continue à traverser les décennies.



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