Ce
travelling vertical extrait de La Charge
des tuniques bleues (The Last
Frontier, Anthony Mann, 1955) est de toute beauté. Dans le photogramme 1,
et dans un espace bien découpé entre deux arbres, Gus (James Whitmore), un
éclaireur de la cavalerie américaine s’avance, seul, dans une clairière, à la
recherche du moindre signe qui pourrait révéler la présence d’Indiens hostiles.
Il précède un escadron de l’armée resté à l’arrière, qui n’attend qu’un signe
de sa part, pour lui permettre d’avancer en terrain découvert. Bien visible
entre ces deux arbres, sur ses gardes, chevauchant très lentement, ses yeux
scrutant inlassablement le couvert de la forêt, Gus ne sait pas, à ce moment
précis, ce que montre progressivement le travelling vertical qui accompagne
dans son ascension un autre éclaireur, Jed Cooper (Victor Mature), visible à droite du cadre en train de grimper le long
d’un tronc d’arbre, à plusieurs centaines de mètres de la clairière. Une fois bien installé sur une branche
(photogramme 2), Jed et le spectateur découvrent toute l’étendue de la menace :
des dizaines d’yeux scrutent Gus avec une attention redoublée. Le plan général
permet tout de suite d’évaluer la situation : des Sioux, couchés à même la terre, sont embusqués, prêts à fondre sur leurs proies. Bien cachés sous la voûte obscure que forment les grands arbres de la forêt, ils sont immobiles, silencieux, leurs armes
prêtes à entrer en action. Nous regardons donc Jed qui regarde les Indiens qui
regardent Gus et ce dernier ne voit rien. Ce triple regard sur l’éclaireur, qui
met en définitive le spectateur en situation de supériorité sur les autres
protagonistes de la séquence, donne toute sa richesse à ce mouvement de caméra.
La tension inscrite entre le premier plan (Jed), le deuxième plan ( les Sioux)
et le troisième plan (Gus) organise la puissance narrative de la séquence en
morcelant le drame : Jed doit prévenir son ami Gus, inconscient du danger,
alors que les Indiens attendent que celui-ci donne le signal à la troupe de
traverser sans risques cette clairière. Mais la présence dans le champ –
magnifié par le Cinémascope - de tous ces protagonistes traduit également une
dimension temporelle différente : les Indiens occupent manifestement cette
butte depuis un certain temps déjà, préparant minutieusement leur embuscade,
alors que Gus et Jed viennent à peine d’entrer en action. Les Sioux sont donc
en position de force, parce qu’ils sont d’une part plus nombreux et que, d’autre
part, ils font corps avec cet espace puisqu’ils semblent littéralement surgir
de terre. Déplacement de la caméra, profondeur de champ et violence latente sont
donc étroitement mélés. Refusant le hors-champ et plaçant tous les acteurs du
drame dans le cadre, Anthony Mann suggère donc l’idée d’un cheminement vers
l’inexorable : l’attaque des Indiens et l’anéantissement d’un escadron de
l’armée américaine.
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