Avant
de tourner La Porte du diable (Devil’s Doorway, 1950), Anthony Mann a
réalisé plusieurs films noirs dont La
Brigade du suicide (T-Men, 1947),
Marché de brutes (Raw Deal, 1948) ou encore La Rue de la mort (Side Street, 1950). De nombreuses caractéristiques thématiques et
formelles de ce genre typique des années 40 et 50 (ambiguïté, fatalité,
corruption, éclairages expressionnistes) se retrouvent ici, faisant de La Porte du diable un film tout à fait
original. Lance Poole (Robert Taylor),
un Indien Shoshone fraîchement démobilisé, rentre chez lui au Wyoming après
avoir combattu dans l’armée nordiste durant la guerre de Sécession et obtenu la
Médaille d’honneur du Congrès pour ses actes de bravoure. Il entend retrouver les
terres sur lesquelles les membres de sa tribu pratiquent avec succès l’élevage
du bétail. Mais son retour ne se passe pas comme il l’avait prévu. Accoudé, au
second plan, sur le comptoir d’un saloon de la ville de Medecine Bow, il
s’apprête à commander un verre de whisky que le barman ne lui donnera pas,
puisque l’alcool a été interdit de vente aux Indiens. Au premier plan, deux
hommes l’accueillent avec morgue et dédain : à droite, l’avocat Verne
Coolan (Louis Calhern), raciste tranquille et assumé, cherche par tous les
moyens à récupérer les terres de la tribu, y compris par la coercition et la
violence, personnifiées par le cowboy à gauche, Ike Stapleton (James Millican).
Le premier élément noir de la séquence est matérialisé par une ambiguïté liée à
l’identité de Lance.Tout à son désir de s’insérer dans la civilisation blanche,
il ne s’aperçoit pas qu’en s’habillant comme un cowboy, il endosse le costume
du conquérant. Regardé avec méfiance par les siens, méprisé par les Blancs,
Lance est habité par le fardeau de la reconnaissance. Mais sa peau cuivrée le
ramène sans cesse, aux yeux des autres, à son indianité. Le deuxième élément
noir réside dans la fatalité qui s’abat progressivement sur Lance. De par ses
origines, il est condamné parce que submergé par les préjugés de ses contemporains,
et son impuissance à lutter contre ce fatum le prédestine à mourir. Le
troisième élément noir concerne le personnage de Verne Coolan, un avocat
corrompu (la référence s’impose de fait puisque le même acteur incarne un autre
avocat véreux dans ce chef-d’oeuvre du film noir qu’est Quand la Ville dort/Aspahlt
Jungle de John Huston, 1950). Cynique, désinvolte, manipulateur et rapace,
il incarne les turpitudes du capitalisme sauvage, prompt à écraser les plus
faibles. Associé à son stetson noir, son costume le rattache au monde des
affaires. Enfin, l’éclairage de la scène repose sur un fort contraste entre
l’ombre et la lumière. Une partie du saloon est plongée dans l’obscurité et
confère à la scène un sentiment de menace. Les ombres projetées sur le plafond
enferment les protagonistes, et la position de l’avocat et de son coupe-jarret,
occupant une grande place dans le cadre, ne fait que resserer notre champ de
vision sur la vulnérabilité de Lance. En dépit du choix de Robert Taylor (grimé
en Indien comme Al Johnson a pu l’être en Noir dans Le Chanteur de jazz/The Jazz Singer de Alan Crosland, 1927), ce
film progressiste prend fait et cause pour les Indiens jusque-là très malmenés
par Hollywood qui ne voyait en eux que des sauvages et un obstacle à la
civilisation. Avec Le Massacre de Fort
Apache (Fort Apache de John Ford,
1948) et La Flèche brisée (Broken Arrow de Delmer Daves, 1950), une
nouvelle perception de ces peuples se fait jour dans le sillage de la Seconde
Guerre mondiale qui faisait du racisme hitlérien un ennemi à abattre.
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