dimanche 25 février 2018

La subversion des codes chez Russel Rouse


Contrairement à ce qu’un spectateur inattentif pourrait penser, le western peut être viscéralement contre les armes à feu. Dans La Première balle tue (The Fastest Gun Alive, 1956), Russel Rouse subvertit les codes propres à ce genre cinématographique. Figure cathartique par excellence, ce duel oppose, de droite à gauche, Vinnie Harold (Broderick Crawford), un malfrat dont le nombre de neurones est inversement proportionnel à sa vélocité, une arme à la main, à George Kelby (Glenn Ford), un paisible citoyen de Cross Creek, une petite ville perdue au fin fond de l’Ouest américain. Le premier parcourt la région à la recherche de ceux qui ont la réputation de tirer plus vite que leur ombre. Sa seule préoccupation est de se prouver à lui-même et aux autres qu’il est l’homme le plus rapide de l’Ouest. Sans autre motivation que celle, pathologique, de manier une arme à feu mieux que les autres, Vinnie Harold tue ainsi gratuitement, les malheureux qui se trouvent sur son chemin. Dès qu’il entend parler d’un tireur plus expérimenté que la moyenne, il infléchit sa route à la recherche de l’imprudent qui ose lui faire de l’ombre. Tout au long de cette itinérance erratique, il laisse derrière lui un sillage sanglant, jalonné de cadavres, de banques cambriolées, d’hommes et de femmes terrorisés. George Kelby, au contraire, est un ancien pistolero qui cherche par tous les moyens à oublier son passé. Ayant raccroché ses armes, il est devenu un honnête et paisible commerçant. Probablement rongé par le remords et à l’instar du Johnny Ringo de La Cible humaine (The Gunfighter, Henry King, 1950), il veut tourner le dos  à la violence, même si ses vieux démons continuent à le hanter. Contraint de répondre aux provocations de  Vinnie Harold qui menace tout Cross Creek de destruction, George Kelby surmonte sa lassitude et son aversion pour les armes en acceptant un destin dont il n’est plus le maître. Filmés en plongée, les duellistes se retrouvent face à face, leur main droite (ou gauche pour l’ambidextre Vinnie) prête à dégainer leur six-coups. L’immobilité hiératique des protagonistes a pour effet d’accentuer leur écrasement, alors qu’en cette fin d’après-midi, les ombres s’allongent sur la terre sèche de la rue principale. Les lignes obliques des sillons, creusés par le passage des chariots, traduisent le déséquilibre, la tension. Aucun différend ne les oppose si ce n’est cette absurde et inepte conviction que Vinnie ne peut exister qu’à travers son colt. Mis au ban de l’humanité, il est incapable de réaliser la vacuité de son obsession et reste assujetti à ses pulsions mortifères. La seule existence de George Kelby est un défi qui remet en cause sa réputation d’invincibilité. « Mais dans quelque main qu’elles se trouvent, les armes incarnent la mort, et le meurtre est un processus duquel, si on s’y est engagé, on ne peut plus sortir que mort soi-même » (1). Seul George Kelby l’a compris. L’immense succès du film en 1956 montre en creux la distance effrayante parcourue par la société américaine dans son rapport aux armes à feu aujourd’hui.

(1) W comme Western de C. Thollon-Pommerol, collection Données actuelles, Paris 1974, p.42.


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