Ce
plan filmé en contreplongée est extrait d’un fabuleux film noir de Robert Wise,
Le Coup de l’escalier (Odds Against Tomorrow, 1959) dont le
scénario a été rédigé (sous le pseudonyme de John O. Killens) par l’immense
Abraham Polonsky, un des blacklistés d’Hollywood depuis 1951. Deux truands, un
Noir, Johnny Ingram (Harry Belafonte) et un Blanc, Earle Slater (Robert Ryan)
sont pourchassés par la police, après l’échec du cambriolage d’une banque. Abraham
Polonsky renverse les codes narratifs traditionnellement attachés à ce type de
situation. Ce sont certes, deux hommes traqués par la police, mais c’est
surtout le premier qui traque le second. En effet, Slater, raciste assumé et violent,
n’a accepté de faire équipe avec Ingram qu’en raison de l’appât du gain. Or,
lorsque le casse s’avère être un échec, sa haine explose à l’encontre de son
comparse. Des échanges de coup de feu entre les deux hommes, aux abords de la
banque, précèdent une course frénétique
dans la nuit new-yorkaise pour finir dans une raffinerie de pétrole dont les
cuves immenses apparaîssent comme autant de silhouettes inquiétantes et
menaçantes, se découpant dans une lumière sépulcrale. En proie à une tension
extrême et gagné par un désarroi grandissant, mais toujours mû par son instinct
de survie, Slater monte quatre à quatre cet escalier vertigineux. En projetant
les ombres des marches et du fuyard sur une cuve voisine, l’éclairage montre un
violent contraste entre l’ombre et la lumière qui renvoie aux plus belles
heures de l’expressionnisme allemand, lorsque les cinéastes opposaient dans les
années 20, les tourments intérieurs, voire la folie, du Docteur Mabuse, de Caligari, d’Orlac à une esthétique mortifère
(décors stylisés, lumière très expressive contrastant avec les zones d’ombre).
L’adéquation entre Slater, aliéné par son racisme, et cet escalier qui le mène
tout droit vers le noir absolu, ce versant ténébreux de sa subjectivité,
traduit le déséquilibre du personnage qui ne peut le mener qu’à sa perte. Au
sommet de la cuve, là-haut, tout là-haut, au-delà de ce grillage qui
s’apparente à une porte, il pourra défier Ingram sans s’apercevoir que sa haine
de l’autre est directement à l’origine de son échec et de son incapacité à
s’adapter à un monde qui avance sans lui ( Au moment du tournage, la Cour
Suprême des États-Unis avait déjà, en 1956, abrogé les lois ségrégationnistes
dans les bus, à la suite de l’arrestation de Rosa Parks). Il a probablement l’impression
que la mort est là , en suspens, si féconde, prête à le mener au bord du
gouffre. Prédestiné à l’échec (des thèmes chers à d’autres cinéastes comme
Billy Wilder (Assurances sur la
mort/Double Indemnity, 1944) ou Fritz Lang (La Rue rouge/Scarlett Street, 1945), Slater, dépourvu de toute
humanité, continue pourtant de lutter pour sa vie. Cette raffinerie et sa
géographie singulière rappellent également le final de L’enfer est à lui (White Heat
de Raoul Walsh, 1949) au cours duquel Cody Jarrett (James Cagney), pourchassé
par la police, se retrouve au sommet d’une cuve , non pas de pétrole mais de
gaz, pour subir un siège qui lui sera fatal. La violence éruptive de Jarrett
rejoint ici le nihilisme de Slater.
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