samedi 10 mars 2018

La mise au point chez Joe Wright



Depuis le 10 mai 1940, Winston Churchill (Gary Oldman à gauche) s’est installé au 10 Downing Street en tant que Premier Ministre. Il arrive au pouvoir au pire moment de la guerre pour le Royaume-Uni. Les armées allemandes viennent de déclencher une attaque éclair sur les Pays-Bas, la Belgique et la France en bousculant les forces alliées britanniques, canadiennes et françaises jusqu’à la poche de Dunkerque. À partir du 20 mai le corps expéditionnaire britannique menace d’être purement et simplement  annihilé. Installé dans un bunker souterrain londonien, avec les membres de son Cabinet de guerre fraichement nommé, Churchill est confronté  à une fronde menée par Neville Chamberlain (Ronald Pickup, flou à l’arrière-plan), son prédécesseur à la tête du gouvernement et Lord Halifax (Stephen Dillane), Secrétaire d’État aux Affaires étrangères. Le Premier Ministre veut absolument continuer le combat alors que Neville Chamberlain le presse d’accepter une médiation offerte par l’ambassadeur italien à Londres pour préparer de futures négociations avec Hitler. Véritable panégyrique churchillien, ce film, Les Heures sombres (The Darkest Hour de Joe Wright, 2017) cadre donc le Premier Ministre au cœur de l’action politique. En conséquence, le réalisateur adapte sa mise au point à son propos : sur le photogramme, la zone de netteté est réduite, ce qui donne au premier plan toute son importance (Winston Churchill) tout en ramenant la faible profondeur de champ du second plan à son caractère flou et donc ici subalterne (Neville Chamberlain). Dans cette confrontation entre ces deux hommes partageant le même espace, Joe Wright refuse le champ-contrechamp classique dans le but de réduire l’influence de Chamberlain, le champion de la politique d’apaisement, coupable aux yeux de l’Histoire de n’avoir pas su préparer le Royaume-Uni à la guerre, et surtout d’avoir signé en 1938, les humiliants accords de Munich face à Hitler et Mussolini. Joe Wright construit donc visuellement un personnage défaitiste et plie sa mise en scène à l’omniprésence de Winston Churchill.  Scruté par la caméra dans une atmosphère en clair-obscur, écoutant à peine Chamberlain,  le front plissé , les lèvres serrées et le regard perdu dans ses pensées, le Premier Ministre sait que le moment est décisif. Faut-il accepter moralement de négocier une paix déshonorante avec Hitler pour empêcher l’invasion du Royaume-Uni ou résister pour faire triompher la démocratie contre la tyrannie  ? De sa décison dépendra l’issue de la guerre avec ses enjeux politiques (la souveraineté du Royaume-Uni) et stratégiques (la poursuite de la guerre alors que le continent européen est en train de basculer sous les coups de boutoir de la Wehrmacht).  Plus énergique, exubérant, héroïque et déterminé que le Churchill de Jonathan Teplitzky (Churchill, 2017), celui de Joe Wright évoque la naissance de la stature légendaire et immortelle du « vieux lion », le commandeur, et l’incarnation de tout un peuple ayant raison contre tous les sceptiques. Cette hagiographie d’un homme qui a changé le destin de son pays (avec l’aide d’Hitler qui a ordonné au général Von Rundstedt de stopper l’armée allemande devant Dunkerque, ce que ne dit pas le film) montre la place qu’il occupe dans l’âme britannique et combien les choix individuels peuvent se répercuter sur la destinée  collective  de millions d’hommes et de femmes.



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