Bien
installée dans son fauteuil, Amélie Poulain (Audrey Tautou dans Le fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre
Jeunet, 2001) regarde un film dans une salle de cinéma. Son visage, illuminé
par la lumière de l’écran hors-champ, irradie à son tour le cadre que nous
observons. La mine manifestement réjouie, un sourire esquissé à la commissure
des lèvres, Amélie s’est coupée, un temps, du monde extérieur, transpercée par
l’évidence que seul le cinéma peut la rendre aussi heureuse. Son visage, sémillant
et éveillé, candide et malicieux, attentif et rêveur traduit toutes les
émotions qui cheminent en elle. À vue d’œil, ses yeux ronds, grand ouverts et
hypnotisés, sont embrasés par ce qu’ils voient, par ce mystère de l’image qui
la chavire, qui l’étreint, qui crée du désir et la fait basculer du paradis en
enfer, qui la transporte hors de la réalité et du monde. L’absence de l’écran,
regardé avec avidité et gourmandise par Amélie, permet de dynamiser notre
vision puisque ce que nous voyons n’est plus un film , mais une spectatrice
regardant un film. Et cet espace invisible devient le champ de notre propre
regard sur le cinéma, sur ce qu’il nous communique en fonction de notre mémoire
et de nos références culturelles et sociales. Amélie donc, existe dans cet
espace public qu’est une salle de cinéma mais qui est aussi , et d’abord, un
écrin individuel dans lequel le corps peut se dépouiller de toute posture tout
en mobilisant l’esprit dans ce qu’il peut avoir de plus créatif. L’attitude
d’Amélie, le regard porté vers le haut, illustre à merveille ce que Jean-Luc
Godard dit du cinéma : « Quand on va au cinéma, on lève la tête, quand on
regarde la télévision, on la baisse ». Quand un film est à la hauteur, comme
cela semble être le cas, à l’évidence pour Amélie, le spectateur s’y abîme sans
retenue ni calcul, sans inhibition ni précipitation, mais toujours ouvert et
réceptif aux images et aux sons qui ressemblent au départ à la première page
d’un livre qui s’écrit progressivement. Dans son essai, L’Exercice a été profitable, Monsieur, Serge Daney nous dit que les
spectateurs sont immobiles alors que défilent les images (1). C’est précisément
cette frontalité immobile face à un
écran qui permet à Amélie de s’approprier, de capturer et donc d’intérioriser
en silence ce bouleversement des sens que seule une salle de cinéma peut
procurer, précisément parce qu’elle est une salle obscure qui permet de mettre
en lumière des idées. Et comme pour parachever cette mise en abyme, le plan de
Jean-Pierre Jeunet nous dit aussi que le spectacle est derrière Amélie puisque
les autres spectateurs manifestent la même fascination qu’elle pour cet écran qui
parvient à fédérer le tout en un. Les regards de ses voisins sont
tout autant magnétisés par la puissance de l’image qui traduit aussi l’amour
que le réalisateur porte à son art.
(1) L’Exercice a été profitable, Monsieur de Serge Daney, POL, 1993, cité dans l’article Salle de Laura Tuillier, numéro 742 des
Cahiers du cinéma, mars 2018, p.33.
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