vendredi 16 juin 2017

La folie chez Stanley Kubrick


Dans Full Metal Jacket (Stanley Kubrick/1987), Léonard Lawrence (Vincent D’Onofrio) dit Grosse baleine est un jeune appelé se retrouvant au camp de Parris Island en Caroline du Sud pour y être entraîné avant son transfert au Vietnam. Toute la première partie du film expose les humiliations et les violences tant physiques que verbales qu’il a subies de la part de son sergent-instructeur Hartman (Ronald Lee Ermey, jouant son propre rôle). Légèrement benêt et doté d’une certaine surcharge pondérale, il devient rapidement le souffre-douleur de tous, ahanant sur le terrain d’entraînement, incapable de franchir des haies, de marcher au pas ou de manier une arme. Mais contre toute attente, insulté en permanence par Hartman, Léonard finit par devenir un soldat particulièrement discipliné, efficace et, en apparence du moins, redoutable, un fusil mitrailleur à la main. Les méthodes du sergent Hartman ont donc fini par porter leurs fruits. Sauf que Stanley Kubrick nous dit exactement le contraire. Lors de la dernière nuit passée à Parris Island, Léonard se retrouve aux toilettes, assis sur une cuvette avec un M16 posé sur le carrelage à sa gauche. Sa tête légèrement tournée vers la caméra et son regard halluciné renvoient immédiatement au visage de Jack Torrance (Shining/1980), un autre spécimen de la folie kubrickienne. Dans des contextes différents, Léonard et Jack sont progressivement déshumanisés, submergés par de profonds troubles pathologiques. L’échec et l’inanité de l’entraînement pour faire de Léonard un parfait marine, est patent. Il est certes devenu une machine à tuer mais va inverser ce pour quoi il a été programmé. En effet, Léonard retourne cette violence qui l’habite désormais, non pas contre les Vietcongs ou les Nord-Vietnamiens qu’il est appelé à combattre, mais contre le sergent qu’il abat d’une décharge en pleine poitrine avant de se faire exploser la tête. Ces toilettes aseptisées aux murs d’un bleu glacé sont donc le premier cercle de l’enfer, celui dans lequel la brutalité du système réveille la violence primitive des individus. À des milliers de kilomètres du Vietnam, la guerre fait déjà rage en broyant le docteur Frankenstein et sa créature. On le sait, Stanley Kubrick déteste l’armée. Des officiers sacrifiant leurs hommes pour mieux assouvir leur soif d’avancement (Les Sentiers de la Gloire/1958) aux brutes galonnées et bornées n’hésitant pas à recourir à l’arme atomique (Docteur Folamour/1963), le réalisateur, avec cynisme et pessimisme, n’a cessé de méditer sur la sauvagerie et la folie engendrées par les conflits et ceux qui les mènent. Léonard, comme les trois fusillés des Sentiers de la Gloire, sont les victimes d’une violence institutionnalisée dont ils ne sont que les jouets. Mais contrairement aux esclaves se révoltant contre l’autorité de Rome (Spartacus/1960), l’infortuné soldat subit son entraînement traumatique à Parris Island sans remettre en cause son endoctrinement, comme pour mieux intérioriser la violence et la projeter une ultime fois à la face du monde.


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