Dans Full
Metal Jacket (Stanley Kubrick/1987), Léonard Lawrence (Vincent D’Onofrio) dit
Grosse baleine est un jeune appelé se retrouvant au camp de Parris Island en
Caroline du Sud pour y être entraîné avant son transfert au Vietnam. Toute la
première partie du film expose les humiliations et les violences tant physiques
que verbales qu’il a subies de la part de son sergent-instructeur Hartman
(Ronald Lee Ermey, jouant son propre rôle). Légèrement benêt et doté d’une
certaine surcharge pondérale, il devient rapidement le souffre-douleur de tous,
ahanant sur le terrain d’entraînement, incapable de franchir des haies, de
marcher au pas ou de manier une arme. Mais contre toute attente, insulté en
permanence par Hartman, Léonard finit par devenir un soldat particulièrement
discipliné, efficace et, en apparence du moins, redoutable, un fusil
mitrailleur à la main. Les méthodes du sergent Hartman ont donc fini par porter
leurs fruits. Sauf que Stanley Kubrick nous dit exactement le contraire. Lors
de la dernière nuit passée à Parris Island, Léonard se retrouve aux toilettes,
assis sur une cuvette avec un M16 posé sur le carrelage à sa gauche. Sa tête
légèrement tournée vers la caméra et son regard halluciné renvoient
immédiatement au visage de Jack Torrance (Shining/1980), un autre spécimen de
la folie kubrickienne. Dans des contextes différents, Léonard et Jack sont
progressivement déshumanisés, submergés par de profonds troubles pathologiques.
L’échec et l’inanité de l’entraînement pour faire de Léonard un parfait marine, est patent. Il est certes devenu
une machine à tuer mais va inverser ce pour quoi il a été programmé. En effet, Léonard
retourne cette violence qui l’habite désormais, non pas contre les Vietcongs ou
les Nord-Vietnamiens qu’il est appelé à combattre, mais contre le sergent qu’il
abat d’une décharge en pleine poitrine avant de se faire exploser la tête. Ces
toilettes aseptisées aux murs d’un bleu glacé sont donc le premier cercle de
l’enfer, celui dans lequel la brutalité du système réveille la violence
primitive des individus. À des milliers de kilomètres du Vietnam, la guerre
fait déjà rage en broyant le docteur Frankenstein et sa créature. On le sait,
Stanley Kubrick déteste l’armée. Des officiers sacrifiant leurs hommes pour
mieux assouvir leur soif d’avancement (Les
Sentiers de la Gloire/1958) aux brutes galonnées et bornées n’hésitant pas
à recourir à l’arme atomique (Docteur
Folamour/1963), le réalisateur, avec cynisme et pessimisme, n’a cessé de
méditer sur la sauvagerie et la folie engendrées par les conflits et ceux qui
les mènent. Léonard, comme les trois fusillés des Sentiers de la Gloire, sont les victimes d’une violence institutionnalisée dont ils ne sont que les jouets. Mais contrairement
aux esclaves se révoltant contre l’autorité de Rome (Spartacus/1960), l’infortuné soldat subit son entraînement traumatique à Parris Island sans remettre
en cause son endoctrinement, comme pour mieux intérioriser la violence et la
projeter une ultime fois à la face du monde.
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