Bien
avant tous ses collègues (Arthur Penn, Sam Peckinpah, Abraham Polonsky, Michael
Cimino, Clint Eatswood et même le grand John Ford), Henry King décrit dans La Cible humaine (The Gunfighter/1950) la désacralisation des héros et donc la disparition du Wild
West. La notion de western crépusculaire, décrivant au début des années 60 des
personnages ambivalents dénués de tout héroïsme, des antihéros doutant de tout
dans un Ouest en voie de civilisation, épouse pourtant déjà parfaitement les enjeux
de l’intrigue de ce film. Dans la ville de Cayenne, Jimmy Ringo (Gregory Peck,
pour une fois moustachu) est attablé dans un saloon, le dos contre le mur, comme
il se doit pour ne pas subir le même sort que Wild Bill Hickock abattu dans le
dos dans un bar similaire à Deadwood. Il n’aspire qu’à une seule chose :
retrouver sa femme et son fils, délaissés depuis trop longtemps, et vivre à
leurs côtés paisiblement. Mais Jimmy Ringo est doté d’une réputation
sulfureuse. Ayant passé l’essentiel de sa vie sur la piste à cambrioler des
banques et des diligences, et à envoyer ad patres un certain nombre de
malchanceux, il revient dans la ville où se trouve sa famille. Vieilli,
fatigué, revenu de tout et inquiet, il cherche à fuir son passé violent en
raccrochant ses colts. Sauf que, où qu’il se rende, un jeune freluquet se met
en travers de sa route, cherchant à le provoquer, pour être celui qui a abattu
le grand Jimmy Ringo. C’est précisément la situation dans laquelle se trouve
l’ancien pistolero à ce moment-ci. Devant lui, un inconscient, Hunt Bromley
(Skip Homeier), veut absolument trinquer avec l’ancien malfrat. Debout, les
bras ballants prêts à dégainer ses deux six-coups, il n’accepte pas le refus
que Johnny lui oppose. À l’arrière-plan, le barman (Karl Malden) et les autres
convives se tiennent prudemment en retrait. L’action se déroule le matin, à
l’heure où le saloon est quasiment vide. Les positions des deux protagonistes
déterminent leur place dans la société : le plus vieux se tient assis, les
deux mains sous la table, avec l’air de celui qui n’a plus rien à
prouver : le plus jeune, quant à lui, toise avec arrogance celui qui ne
représente qu’une légende, en voulant prouver aux autres que sa rapidité au tir
n’est pas usurpée. Le premier aspire à la paix dans un monde dans lequel la loi
dicte aux hommes leur conduite, alors que le deuxième vit toujours dans une représentation
mentale primitive, prêt à en découdre avec la terre entière. Pourtant, la
confrontation de ces deux générations que tout oppose est plus complexe que ne
le laissent croire les apparences. Hunt, cet imbécile arrogant et prétentieux, n’est
que le reflet de ce que fut Johnny plus jeune : un chien fou hors de tout contrôle
investi d’une hubris débordante, inversement proportionnelle à sa génétique
neuronale. Fataliste et désabusé, Jimmy Ringo le regarde avec l’air de celui
qui s’est déjà trouvé dans ce type de situation. Une tension palpable envahit à
cet instant le saloon. D’une grande modernité, et filmé dans un style ascétique
qui fait la part belle à la psychologie des personnages et non aux grandes
chevauchées, ce thème tragique du tueur voulant raccrocher ses armes tout en
restant incapable de rompre avec son passé se retrouvera en 1956 dans La première balle tue (The Fastest Gun Alive) de Richard Rouse.
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