Cette célèbre apostrophe extraite de l’Homme qui tua Liberty Valance (The Man who shot Liberty Valance, John
Ford, 1962) traduit la distance qu’il y a entre la représentation du mythe de
l’Ouest américain (globalement, la plus grande partie des westerns tournés de
1903 jusqu’au milieu des années 60) avec ses icônes sans peur et sans reproche et
le réel de la conquête (globalement, les westerns tournés de la fin des années
60 à nos jours), avec des héros mis à nu, le massacre des Indiens et la
destruction des bisons. Clint Eastwood, en digne héritier de John Ford, fait
sienne cette maxime mais la transpose dans le contexte de la Seconde Guerre
mondiale. Dans Mémoires de nos pères
(Flags of Our Fathers, 2006), trois
soldats sont présentés comme des héros de la bataille d’Iwo-Jima (mars 1945) pour
parcourir les États-Unis afin de collecter de l’argent qui servira à financer
l’effort de guerre contre l’Empire du Soleil levant. De gauche à droite, René
Gagnon (Jesse Bradford), John Bradley (Ryan Philippe) et Ira Hayes (Adam Beach)
ont participé à l’érection du deuxième drapeau sur le point culminant
d’Iwo-Jima, le mont Suribachi, en signe de victoire sur l’ennemi japonais. Mais
ce que le public américain, en mal de héros et avide de pouvoir s’identifier à
des soldats farouches et résolus, ne sait pas, c’est que cet épisode du deuxième
drapeau n’est qu’une mise en scène orchestrée par le photographe Joe Rosenthal,
absent au moment où le premier drapeau a été fixé, au plus fort des combats. Son cliché « Raising the flag on Iwo-Jima » deviendra la photographie la plus
emblématique de la guerre. L’autre problème est que sur les trois hommes, seul Ira
Hays, un amérindien né sur la réserve pima de Gila River en Arizona, a
participé au combat. Les deux autres sont respectivement une estafette (René
Gagnon) et un infirmier (John Bradley) et n’ont pas participé aux vagues
d’assaut qui ont fini par submerger cet îlot perdu en plein Pacifique. Ils
acceptent par patriotisme de se prêter à cette exhibition médiatique et «
d’endosser la défroque des héros » (1). Le photogramme les montre au beau
milieu d’un stade, sous les feux des projecteurs. Cette image fixe traduit en
fait un mouvement de rotation puisque les trois personnages n’en incarnent
qu’un, mais à des moments successifs. René regarde droit devant lui avec un
sourire goguenard, pas dupe du jeu auquel il se livre, John tourne la tête vers
sa gauche, passablement inquiet face à cette foule et Ira clôt le mouvement en
scrutant, interloqué, les plus hauts gradins du stade. Devenus des marionnettes
aux mains de la propagande, ils sont impeccablement sanglés dans leurs
uniformes de parade pour offrir à la vue du public ce qui est en fait une
imposture et un mensonge. La réalité importe donc peu. Ils sont devenus des
images, des icônes, des symboles que l’on peut utiliser jusqu’à l’épuisement,
parce que la situation militaire l’exige. Et cette posture apparaîtra d’autant
plus décalée pour le soldat Ira Hayes, qu’elle ne le mettra pas à l’abri du
racisme qui le frappe entre deux tournées de promotion. De manière
emblématique, le film se termine sur lui, alcoolique et en pleine dépression, en
train d’errer sur les routes de la réserve, oublié de tous. Ce mensonge, érigé
en système de gouvernement, sert le propos de Clint Eastwood qui, à travers ce
questionnement patriotique de la manipulation de l’image, rend néanmoins
hommage à tous ceux – Américains et Japonais – qui ont participé à cette
bataille particulièrement sanglante ou qui y ont laissé leur vie.
(1) Clint Eastwood, un passeur à Hollywood de
Noël Simsolo, Cahiers du cinéma, 2006, p.263
Raising the flag on Iwo-Jima de Joe Rosenthal (1945)
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