Avec une clameur d’abord indistincte puis de plus
en plus audible et des ombres spectrales sortant progressivement du brouillard,
la première apparition des samouraïs dans le film d’Edward Zwick, Le Dernier des samouraïs (The Last Samourai, 2003) déchire
littéralement l’écran. Filmée au ralenti, la charge irrésistible que mènent ces
cavaliers lourdement armés contre les conscrits de l’armée japonaise,
s’apparente à un surgissement aussi fiévreux qu’irréel. En dépit de leurs
casques kabuto à décorations frontales impressionnantes (un croissant de lune
ou des cornes), de leurs armures, de leurs sabres, de leurs arcs, de leurs
lances et de la fougue de leur assaut, ces guerriers évoluent avec aisance dans
cette forêt et cette brume qui les ont masqués un temps. Les sabots des chevaux
martèlent le sol en cadences régulières, les sabres sont levés, prêts à chanter
leur musique mortelle, les cavaliers, comme autant de centaures, regardent
droit devant eux sans dévier de leur trajectoire, prêts à tout pulvériser sur
leur passage. Le dynamisme et la puissance de l’image sont obtenus par la
composition dans le cadre : le point de vue est exclusivement frontal avec
une absence de hiérarchisation des plans : les arbres et la végétation
sont visibles au premier et à l’arrière plans mais ne sont guère significatifs.
C’est évidemment le deuxième plan qui importe, matérialisé par cette horde
sauvage déferlant sur nous. Fortement contrastée, la lumière, entre l’ombre recouvrant
les cavaliers et le bleu enveloppant la forêt, donne à la séquence une
dimension fantasmagorique. Il y a
quelque chose d’effrayant et de fascinant dans cette chevauchée nocturne qui
renvoie à l’image idéalisée que nous avons du samouraï. Au Moyen-Âge, il est ce
guerrier japonais au service d’un seigneur, soumis à une discipline très
stricte, expert dans le maniement du sabre - le katana - et observant des
principes moraux – droiture, honneur, loyauté, courage, mépris de la mort
- régis par un code, le bushido (la voie
du guerrier). Dans le dernier tiers du XIXe siècle, avec le renforcement du
pouvoir impérial – le début de l’ère Meiji - et un Japon qui se modernise tout
en s’ouvrant au monde, les samouraïs, représentant une culture et un mode de
vie dépassés, deviennent obsolètes et disparaissent. Edward Zwick filme donc,
serrés les uns contre les autres, des morts en sursis, des perdants magnifiques.
La masse mouvante qui transperce la brume n’est qu’un des ultimes sursauts
d’orgueil de cette caste militaire vouée à disparaître. Akira Kurosawa (Les 7 Samouraïs, 1955), Masaki Kobayachi (Harakiri, 1962 ou Rébellion, 1967)
avaient déjà montré des hommes déchus de leur piédestal mais qui choisissent de
mourir dans un dernier baroud d’honneur.
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