samedi 11 février 2017

La ségrégation socio-spatiale chez Rodrigo Pla


La Zona (Rodrigo Pla/2008) est une cité résidentielle privée très aisée comme il y en existe des milliers à travers le Mexique. Des villas, des gazons bien entretenus, de grosses voitures garées devant leurs garages, des rues calmes, mais sans vie, caractérisent cette urbanizacion cerrada, cette communauté fermée, repliée sur elle-même et ses certitudes sociales et financières. On est entre soi, dans un souci d’homogénéité sociale. Ses habitants fortunés vivent sans aspérités comme anesthésiés par le silence qui règne et qui enveloppe cet espace urbain idéalisé. Aucun nuage ne vient perturber ce bel ordonnancement horizontal de maisons sécurisées. Mais tout à la découverte de ce ghetto doré, la caméra suit les ondulations erratiques du vol d’un papillon qui nous amènent à découvrir, comme une incongruité, la présence d’un mur à gauche de l’écran. 


Construit à l’arrière d’une haie, ce mur est surmonté de barbelés, de lignes à haute tension et de projecteurs donnant à l’ensemble des allures de camp retranché. Haute de plusieurs mètres, cette balafre architecturale protège la Zona d’une menace extérieure pensée comme particulièrement dangereuse. Elle est le symptôme et la matérialisation d’une ségrégation socio-spatiale, révélatrice d’une société brisée, en proie à de profondes divisions intercommunautaires. C’est donc moins la Zona que l’enceinte fortifiée l’encerclant qui est le sujet du film. Filmé en contre-plongée, le mur traduit la peur et la paranoïa qui se sont emparées des esprits d’une partie de la population ne réalisant pas qu’elle répond à la violence par la violence. 


Puis la caméra effectue un mouvement de grue ascendant pour confirmer les raisons de cet enfermement volontaire. Au loin, mais pas si loin, s’étend un chaos urbain. Cet enchevêtrement hétéroclite de maisons s’entassant les unes à côté des autres renvoie l’image de tous les dysfonctionnements de la société mexicaine : bidonvilles, violence, drogue, prostitution, extrême pauvreté. Se dressant comme une discontinuité de l’espace urbain, la fortification apparaît d’autant plus dérisoire que de l’autre côté, la pression démographique et l’extension du tissu urbain anarchique menacent de tout submerger sur leur passage. Deux territoires se tournent le dos, s’ignorent ou feignent de s’ignorer. La caméra de surveillance n’est pas orientée vers cet entrelacs d’immeubles à très forte densité, mais scrute à l’intérieur de la Zona les signes d’une éventuelle intrusion venue de l’extérieur. En regardant le prologue du film, on ne peut s’empêcher de penser à l’athlète Oscar Pistorius, accusé après une violente dispute, d’avoir assassiné en 2013, sa compagne dans leur domicile à Pretoria, la capitale de l’Afrique du Sud. Le couple vivait justement dans une enclave résidentielle hautement surveillée, la Silver Woods Country Estate, Ce n’est donc pas du monde extérieur que la violence a surgi, mais bien de l’intérieur de cet espace emmuré.


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