samedi 11 mars 2017

La mémoire chez Giulio Ricciarelli


Dans la continuité de La Chute (Der Untergang) de Oliver Hirschbiegel/2004), de Sophie Scholl, les Derniers jours (Sophie Scholl, die Letzten Tage) de Marc Rothemund/2005) et de Hannah Arendt de Margarethe von Trotta/2013, le cinéma allemand poursuit son travail de mémoire sur le passé nazi. Si le premier évoque les derniers jours d’Hitler dans son bunker en mai 1945, le deuxième, la résistance allemande en 1942 et le troisième le procès d’Eichmann et la libération de la parole des victimes juives de la Shoah, Le Labyrinthe du silence (Im Labyrinth des Schweigens de Giulio Ricciarelli/2014) quant à lui, évoque une Allemagne entre 1958 et 1963, totalement amnésique des crimes perpétrés par le nazisme. Un jeune procureur, Johann Radmann (Alexander Fehling) découvre progressivement l’ampleur du système concentrationnaire et génocidaire que son pays a mis en place entre 1933 et 1945. Incarnant les trois procureurs historiques (Joachim Kügler, Georg Friedrich et Gerhard Wiese) dont les enquêtes ont mené au second procès d’Auschwitz (1963-1965) et à la mise en accusation de 22 anciens SS de ce camp d’extermination, Johann Radmann, épris de justice et de vérité, veut briser le silence et le tabou qui recouvrent, comme une chape de plomb, le souvenir du totalitarisme hitlérien. Ignorant au début jusqu’au nom d’Auschwitz, le procureur finit par comprendre que les nazis ordinaires qui ont échappé aux procès de l’immédiat après-guerre sont en fait, tout autour de lui, recyclés en instituteurs, en boulangers et/ou en bons pères de famille. Affronter la culpabilité collective et poursuivre ces Allemands qui ne se cachent pas, tout en cherchant à honorer la mémoire des victimes, devient alors l’œuvre de sa vie. Dans le cadre de son enquête, Johann Radmann  accède aux archives de l’armée américaine stationnée à Francfort et se trouve subitement face au travail gigantesque de fourmi qui l’attend. Des tonnes de dossiers s’élevant jusqu’au plafond menacent de le submerger. Pris en étau entre ces étagères qui contiennent des milliers de fiches, de photographies et de témoignages, comme autant de preuves de l’implication de la société allemande dans la machine génocidaire, le procureur mesure l’abjection de la génération de ses parents qui cherche à ce moment à tout faire pour enfouir cette mémoire hideuse. Celle-ci reste néanmoins tapie à l’intérieur de ces pages que le temps ne jaunit pas. Mais s’il est pris de vertige face à toutes ces archives, c’est aussi parce qu’elles contiennent ce qui est indicible en 1958 : l’adhésion et la soumission de tout un peuple à un régime qui a plongé l’Allemagne d’abord, puis toute l’Europe dans les ténèbres. « Est-ce vraiment utile que tous les jeunes Allemands se demandent si leur père est un meurtrier ? » demande un collègue à Johann Radmann. Cette question centrale du film irrigue la démarche de celui qui ne se résigne ni au silence ni à l’oubli. L’horreur perpétrée en toute bonne conscience (ne fallait-il pas éradiquer les nuisibles – Juifs, homosexuels, Tziganes – pour la sauvegarde raciale du peuple allemand ?) se situe hors-champ. Chaque dossier appartient à un homme ou à une femme, maillons indispensables d’un système programmé d’assassinats à grande échelle sans lesquels rien n’aurait pu se réaliser. C’est donc l’implication, sans remords ni morale, d’anciens nazis au cœur de cette plongée vertigineuse dans l’inhumain, cette banalité du mal, caractéristique de la pensée de la philosophe Hannah Arendt, que traque Johann Radmann. Non pas pour essayer de comprendre l’incompréhensible, mais pour forcer les Allemands à faire face à leur passé et ne pas oublier les millions de fantômes qui hantent indirectement ces dossiers.


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