mercredi 19 octobre 2016

L'éducation chez Matt Ross


Captain Fantastic (2016) de Matt Ross est un ovni dans la production cinématographique américaine actuelle. Il ne s’agit pas d’un énième film de super-héros, type Captain America ou Captain Marvel, mais d’une apnée en immersion libre au sein d’une famille d’un genre particulier. Un père, Ben (Viggo Mortensen), élève ses enfants, âgés de 5 à 20 ans, dans les forêts du Nord-Ouest qui bordent la côte Pacifique des États-Unis. S’inspirant des préceptes de Henry David Thoreau et de son récit Walden ou la Vie dans les bois écrit en 1854, Ben apprend à ses enfants à chasser, à se battre, à vivre en harmonie avec la nature sans oublier l’apprentissage des langues, de Marx, de Rousseau ou de Dostoïevski. L’enjeu éducatif est de les couper de la société de consommation, jugée superfétatoire et de tout ce qui touche de près ou de loin au capitalisme, au nationalisme et à la religion : tout ce qui touche donc aux fondements et aux valeurs de la société américaine. Le point de vue violemment subversif de Matt Ross se rapproche de celui de Sean Penn dans Into The Wild (2007) dans lequel un jeune homme, Christopher McCandless (Emile Hirsch), décide un beau jour de quitter le confort matériel pour se lancer vers un ailleurs aventurier. Mais alors que Christopher se dirige vers les étendues glacées de l’Alaska, Ben et sa famille vont faire le chemin inverse. Ils vont être obligés de quitter leur eden sylvestre après avoir appris le suicide de Leslie, leur mère et épouse hospitalisée à proximité de ses parents au Nouveau-Mexique. Le but de ce voyage est de récupérer le corps de la défunte pour l’incinérer selon les rites bouddhistes auxquels elle avait adhéré quelque temps auparavant. Mais Jack (Frank Langella), le beau-père de Ben, refuse catégoriquement de respecter les dernières volontés de sa fille. La cérémonie a donc lieu de manière traditionnelle dans une église. C’est à ce moment-là que la famille fait irruption dans ladite église. Le propos est alors cinglant et fait passer Noam Chomsky ou Howard Zinn pour des penseurs réactionnaires. Du masque à gaz aux fleurs dans les cheveux en passant par les couleurs de l’arc-en-ciel vestimentaire qui barrent l’allée principale, Ben et ses enfants manifestent de manière provocante et transgressive leur désir de récupérer le corps de Leslie tout en lançant de violentes diatribes contre toutes les religions. Ben affirme « que Leslie détestait toutes les religions organisées. Pour elle, c’était les contes de fées les plus dangereux jamais imaginés, élaborés pour susciter l’obéissance aveugle et semer la peur dans les cœurs des gens naïfs et ignorants ». Face à tant d’audace, les fidèles restent figés dans leur incompréhension muette. Les mots que lance Ben à toute l’assemblée vont plus loin que les propos de La Nuit du Chasseur (1955) de Charles Laughton ou Elmer Gantry, le charlatan (1960) de Richard Brooks. Ces deux derniers films n’étaient pas une attaque frontale vis-à-vis de la religion, mais plutôt une critique des évangélistes plus ou moins véreux, qui profitaient de la crédulité des bigots plus ou moins illuminés, pour mieux s’enrichir. Mais pour Matt Ross, l’attitude de Ben traduit d’abord la conviction absolue que la liberté de conscience et le libre arbitre doivent primer sur les convenances et la tradition. Dans un contexte cinématographique caractérisé par un retour du religieux (Seven Days in Utopia de Matt Russell (2011), Noah de Darren Aronovsky (2014), Exodus : Gods and Kings de Ridley Scott (2014) ou Ben-Hur de Timur Bekmambetov (2016), Captain Fantastic fait figure de brûlot iconoclaste.


Ben (Viggo Mortensen) et ses enfants



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