mardi 7 juin 2016

La déchirure chez Clint Eastwood


Je ne suis pas loin de penser que Sur la route de Madison (The Bridges of Madison County, 1995) est le plus grand film de Clint Eastwood. Il s’agit d’une oeuvre dotée d’un équilibre et d’une sensibilité qui confinent à la perfection. Robert Kincaid (Clint Eastwood, à l’opposé de son personnage de dur) rencontre fortuitement Francesca Johnson (Meryl Streep, dans ce qui est probablement son meilleur rôle). Alors que tout les sépare (lui est photographe en tournée en Illinois pour photographier les ponts couverts du comté de Madison et elle, est fermière, mariée, avec deux enfants), une histoire d’amour fulgurante et dévastatrice va naître de l’improbable et de l’imprévu. Profitant d’une absence de quatre jours de sa famille, Francesca va progressivement laisser libre court à des sentiments réciproques  et vivre de manière absolue et entière un amour d’autant plus fort qu’il semble voué à n’être qu’éphémère. Francesca n’arrivera pas à se résoudre à quitter sa famille pour suivre Robert.

Venu de nulle part, comme tant de personnages incarnés par Clint Eastwood (L’Homme des hautes plaines, 1973), Pale Rider, 1985), Robert est ici, sous une pluie torrentielle, la mort dans l’âme, prêt à repartir vers un ailleurs hypothétique. Il se retrouve, une dernière fois, face à Francesca qui se trouve hors-champ dans une voiture aux côtés de son mari. Trempé jusqu’aux os, ignorant la pluie qui le transperce, Robert fait quelques pas sur la route détrempée pour adresser un dernier adieu silencieux à celle qu’il a aimée passionnément. La boucle est bouclée dans une atmosphère de désolation; Robert est seul, désespérément seul, déchiré par cet amour clandestin qui ne sera révélé aux enfants de Francesca qu’après le décès des deux amants. Sans grandes envolées lyriques, Clint Eastwood donne à son personnage une dimension tout à la fois tragique et mélancolique, refusant de croire que ces quatre jours ne seraient finalement qu’une parenthèse dans sa vie. Cette mise à nu exacerbée des sentiments, et cette volonté farouche de suspendre le temps encore quelques secondes, rendent imparfait ce présent qui ne vit plus que par le passé. Depuis Les Proies (The Beguiled de Donald Siegel, 1970), Clint Eastwood a lentement mais sûrement cassé son image de dur, héritée  de ses personnages de l’Homme sans nom dans les westerns de Sergio Leone ou de celle de Dirty Harry qui lui ont longtemps collé à la peau. Dans Sur la route de Madison, il montre qu’il est bien un très grand réalisateur doté d’une  sensibilité à fleur de peau que l’on retrouvera dans Million Dollar Baby (2004) ou L’Échange (Changeling, 2008).





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