dimanche 26 juin 2016

La ville chez David Fincher


David Fincher a dû, indubitablement, tourner Seven (1995) sous anxyolytiques. Son film dégage une odeur de putréfaction et de sauvagerie imprégnant un paysage urbain indéterminé pratiquement constamment noyé sous une pluie diluvienne. Deux inspecteurs de police, David Mills (Brad Pitt, à son meilleur) et William Somerset (Morgan Freeman, aussi sobre que fascinant) sont sur les traces d’un psycho killer qui organise des meurtres en série en fonction des sept péchés capitaux définis par Saint Thomas d’Aquin au XIIIe siècle. Parvenus à identifier le domicile du tueur, les deux inspecteurs se retrouvent devant la porte de l’appartement, lorsqu’arrive son propriétaire. Une course-poursuite s’enclenche alors immédiatement entre les trois hommes qui s’achèvera aux côtés d’un camion à ordures, dans une ruelle gorgée d’eau. Mills, se fait surprendre par un coup sur la tête qui le jette à terre. Le tueur, qui s’était caché sur le toit du camion, lui pose alors le canon de son revolver sur la tempe mais renonce à presser sur la détente et choisit de s’enfuir. D’une noirceur totale, la séquence exhale un désespoir qui nous dit que la décomposition de l’humanité ne peut survivre à cette jungle urbaine. David Fincher filme Mills, trempé jusqu’aux os, tentant de se relever avec difficulté alors qu’apparaît à l’arrière-plan son collègue Somerset. La benne à ordures occupant la moitié de l’image et les deux murs à gauche et à l’arrière-plan enferment l’inspecteur, dont le corps et  le visage ensanglanté se confondent avec les poubelles. Ce milieu quasiment aquatique submerge tous les protagonistes de l’histoire et brouille la perception qu’ont les deux inspecteurs du tueur. Dans ce nouveau Déluge, John Doe (le tueur non-identifié)  se joue de Mills pour mieux poursuivre son œuvre criminelle et anéantir cette humanité corrompue par le vice et le péché. Somerset arrive sur les lieux trop tard et Mills ne doit son salut qu’à une mansuétude du serial killer aussi providentielle qu’inattendue. Avec ses ruelles transformées en coupe-gorge, ses murs lépreux et son bitume spongieux, la ville est bien le berceau du mal, mais ici, nul Noé pour assurer la pérennité de l’espèce humaine. La ville a toujours été un espace géographique indissociable du film noir (Les Forbans de la nuit/Night and the City de Jules Dassin, 1950). Elle est ce monstre tentaculaire, siège de toutes les bassesses humaines, de toutes les corruptions qui abrite en son sein des espaces interlopes (les bas-fonds  mais aussi les beaux quartiers contaminés par le crime comme dans Quand la ville dort/Asphalt Jungle de John Huston, 1950). David Fincher pousse cette représentation à son paroxysme; les rues et les immeubles traduisent l’enfermement et le cloisonnement, accentués par les trombes d’eau qui menacent d’engloutir à tout moment les téméraires qui osent braver le monde extérieur. Ce monde effrayant et nihiliste ne laisse pas de place au hasard. L’inspecteur Mills est prédestiné à être un rouage essentiel de l’entreprise terrifiante du tueur, et aucun des deux inspecteurs ne sera en mesure de stopper sa mécanique froide et sanglante.




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