Arizona 1870. Deux flèches apaches viennent de se
ficher en vrombissant dans le tronc d'arbre devant lequel se tient Tom Jeffords
(James Stewart). Encadré par les hampes et leurs empennages, son visage crispé
et inquiet, avec ces yeux fiévreux et cette commissure gauche des lèvres
légèrement relevée, dit tout du danger auquel Tom est soumis, danger d'autant
plus inquiétant que ses ennemis restent pour le moment invisibles. Ex-soldat de l'Union, chercheur d'or, Tom n'en
mène pas large. S'il n'a pas été transpercé par ces flèches, ce n'est pas parce
qu'il a maille à partir avec des archers particulièrement maladroits, mais plutôt
parce qu'il a trouvé et soigné quelques jours auparavant un jeune Apache blessé
par des soldats. L'association de la flèche – arrow en anglais - avec la menace
indienne est telle qu'elle a donné lieu avec une fréquence remarquable au choix
volontairement dramatique de nombreux titres originaux de westerns: Arrowhead (Charles Marquis Warren,
1953), War Arrow (George Sherman,1954), Arrow in the Dust (Lesley
Selander, 1954), Run of the Arrow (Samuel Fuller, 1957), Blood Arrow
(Charles Marquis Warren, 1958), Blood on the Arrow (Sidney Salkow, 1964),
auquel il faut rajouter le plus célèbre d'entre eux et dont est extrait le
photogramme ci-dessus, Broken Arrow (La Flèche brisée, Delmer
Daves, 1950). Mais restons un moment sur James Stewart. Dans le cinéma américain,
il incarne l'esprit d'une nation et ses valeurs démocratiques, l'Américain
idéaliste, fondamentalement honnête et façonné par un sens de l'éthique et de la
morale qui autorisent naturellement de confondre ses rôles avec l'homme qu'il
est dans le privé. Frank Capra dans Monsieur Smith au Sénat (Mr Smith
Goes to Washington, 1939) a su poser les premiers jalons de ce qui fera
l'identité de cet acteur tout au long de sa carrière. Mais, dans La Flèche brisée, alors
qu'il regarde avec anxiété les flèches et les alentours, son regard, filmé dans
une contreplongée dramatique, exprime déjà, en plus, cette tension et cette
nervosité, cette violence enfouie qui ne demande qu'à exploser, qu'un autre
metteur scène, Anthony Mann – mais aussi Alfred Hitchcock - saura, de Winchester
73 (1950) à L'Homme de la plaine (The Man from Laramie, 1955),
mettre au jour en lui faisant interpréter des personnages ambigus empreints de
tourments intérieurs, de culpabilité, voire d'un masochisme inconscient destiné
à expier une faute qu'il aurait commise autrefois. Mais, pour le moment, dans
cette forêt de l'Arizona, le temps vient de se figer. Quelques secondes
d'éternité suffisent pour imaginer l'abîme. Puis, soudain, à la suite d'un
frémissement agitant les sous-bois, quatre cavaliers émergent de la forêt, vagues
silhouettes silencieuses presque irréelles entraperçues tout d'abord à travers
le feuillage puis, guerriers farouches lancés au galop en talonnant
vigoureusement les flancs de leurs montures pour se rapprocher mètre par mètre de
Tom. Mais revenons à notre flèche. De la présence hors-champ des Apaches aux flèches
surgies en silence de nulle part, le même effroi se révèle pour transformer un
espace de forêts et de rochers, en apparence bucolique, en lieu d'affrontement.
Arme de prédilection des Indiens, l'arc est utilisé pour la chasse (rarement
vue à l'écran à l'exception notable de Danse avec les loups/Dances
with Wolves de Kevin Costner, 1990), mais surtout ici pour menacer un
intrus, marquer un territoire dominé par la tribu de Cochise (Jeff Chandler) et,
plus largement, lutter contre les colons blancs et l'armée américaine. Contrairement
au titre du film, ces flèches sont pour le moment intactes. Lorsqu'elles sont
brisées elles revêtent, dans le western, une seule et même signification: dans La
Flèche brisée, Cochise en brisera une en signe de paix, témoignant ainsi à
Tom Jeffords le désir de vivre en harmonie avec les Blancs et de renoncer à la
guerre, de la même façon qu'un an auparavant, dans La Charge héroïque (She
Wore a Yellow Ribbon, John Ford, 1949), le capitaine pacifiste Nathan Brittles (John
Wayne) en brisa une autre en deux morceaux, expectorant avec mépris sur les
débris avant de les jeter au visage de Red
Shirt (Noble Johnson), un chef sioux belliqueux. Au tournant des années 50, dans
sa représentation cinématographique, la flèche brisée matérialise un message d'harmonie
humaniste entre les peuples, particulièrement nécessaire aux États-Unis alors
aux prises, quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec la
Guerre froide et l'escalade de la peur rouge.
lundi 9 mai 2022
La flèche chez Delmer Daves
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