lundi 9 mai 2022

La flèche chez Delmer Daves

 

Arizona 1870. Deux flèches apaches viennent de se ficher en vrombissant dans le tronc d'arbre devant lequel se tient Tom Jeffords (James Stewart). Encadré par les hampes et leurs empennages, son visage crispé et inquiet, avec ces yeux fiévreux et cette commissure gauche des lèvres légèrement relevée, dit tout du danger auquel Tom est soumis, danger d'autant plus inquiétant que ses ennemis restent pour le moment invisibles.  Ex-soldat de l'Union, chercheur d'or, Tom n'en mène pas large. S'il n'a pas été transpercé par ces flèches, ce n'est pas parce qu'il a maille à partir avec des archers particulièrement maladroits, mais plutôt parce qu'il a trouvé et soigné quelques jours auparavant un jeune Apache blessé par des soldats. L'association de la flèche – arrow en anglais - avec la menace indienne est telle qu'elle a donné lieu avec une fréquence remarquable au choix volontairement dramatique de nombreux titres originaux de westerns:  Arrowhead (Charles Marquis Warren, 1953), War Arrow (George Sherman,1954), Arrow in the Dust (Lesley Selander, 1954), Run of the Arrow (Samuel Fuller, 1957), Blood Arrow (Charles Marquis Warren, 1958), Blood on the Arrow (Sidney Salkow, 1964), auquel il faut rajouter le plus célèbre d'entre eux et dont est extrait le photogramme ci-dessus, Broken Arrow (La Flèche brisée, Delmer Daves, 1950). Mais restons un moment sur James Stewart. Dans le cinéma américain, il incarne l'esprit d'une nation et ses valeurs démocratiques, l'Américain idéaliste, fondamentalement honnête et façonné par un sens de l'éthique et de la morale qui autorisent naturellement de confondre ses rôles avec l'homme qu'il est dans le privé. Frank Capra dans Monsieur Smith au Sénat (Mr Smith Goes to Washington, 1939) a su poser les premiers jalons de ce qui fera l'identité de cet acteur tout au long de sa carrière.  Mais, dans La Flèche brisée, alors qu'il regarde avec anxiété les flèches et les alentours, son regard, filmé dans une contreplongée dramatique, exprime déjà, en plus, cette tension et cette nervosité, cette violence enfouie qui ne demande qu'à exploser, qu'un autre metteur scène, Anthony Mann – mais aussi Alfred Hitchcock - saura, de Winchester 73 (1950) à L'Homme de la plaine (The Man from Laramie, 1955), mettre au jour en lui faisant interpréter des personnages ambigus empreints de tourments intérieurs, de culpabilité, voire d'un masochisme inconscient destiné à expier une faute qu'il aurait commise autrefois. Mais, pour le moment, dans cette forêt de l'Arizona, le temps vient de se figer. Quelques secondes d'éternité suffisent pour imaginer l'abîme. Puis, soudain, à la suite d'un frémissement agitant les sous-bois, quatre cavaliers émergent de la forêt, vagues silhouettes silencieuses presque irréelles entraperçues tout d'abord à travers le feuillage puis, guerriers farouches lancés au galop en talonnant vigoureusement les flancs de leurs montures pour se rapprocher mètre par mètre de Tom. Mais revenons à notre flèche. De la présence hors-champ des Apaches aux flèches surgies en silence de nulle part, le même effroi se révèle pour transformer un espace de forêts et de rochers, en apparence bucolique, en lieu d'affrontement. Arme de prédilection des Indiens, l'arc est utilisé pour la chasse (rarement vue à l'écran à l'exception notable de Danse avec les loups/Dances with Wolves de Kevin Costner, 1990), mais surtout ici pour menacer un intrus, marquer un territoire dominé par la tribu de Cochise (Jeff Chandler) et, plus largement, lutter contre les colons blancs et l'armée américaine. Contrairement au titre du film, ces flèches sont pour le moment intactes. Lorsqu'elles sont brisées elles revêtent, dans le western, une seule et même signification: dans La Flèche brisée, Cochise en brisera une en signe de paix, témoignant ainsi à Tom Jeffords le désir de vivre en harmonie avec les Blancs et de renoncer à la guerre, de la même façon qu'un an auparavant, dans La Charge héroïque (She Wore a Yellow Ribbon, John Ford, 1949),  le capitaine pacifiste Nathan Brittles (John Wayne) en brisa une autre en deux morceaux, expectorant avec mépris sur les débris avant de les jeter au visage de  Red Shirt (Noble Johnson), un chef sioux belliqueux. Au tournant des années 50, dans sa représentation cinématographique, la flèche brisée matérialise un message d'harmonie humaniste entre les peuples, particulièrement nécessaire aux États-Unis alors aux prises, quelques années après la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec la Guerre froide et l'escalade de la peur rouge.




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