2
Dans Adieu Monsieur Haffmann (Fred Cavayé,
2022) la collaboration s'invite – à quarante-huit ans de distance - comme un
effet de miroir dans les liens qui parcourent les itinéraires de François
Mercier (Gilles Lellouche) et de Lucien Lacombe (Pierre Blaise)[1].
Deux hommes ordinaires, frustes et dénués de toute conscience politique - le
premier est un apprenti employé dans la bijouterie de Joseph Haffmann (Daniel
Auteuil), alors que le second est un paysan occupé à des tâches domestiques
dans un hospice - vont se retrouver, par un concours de circonstances
extraordinaires, dans la collaboration avec l'occupant allemand. Ouvrier modèle
mais désargenté, François voit son univers basculer du jour au lendemain,
lorsque son patron, de confession juive, lui propose le temps de la guerre et
de l'Occupation, de servir de prête-nom et devenir le propriétaire de sa
bijouterie pour éviter ainsi la spoliation de cette petite entreprise par les
autorités de Vichy et son transfert en des mains non-juives. Handicapé depuis
sa naissance par un pied-bot l'ayant empêché de combattre en 1940, follement
amoureux de sa femme Blanche (Sara Giraudeau) mais incapable de la rendre
enceinte, ouvrier méticuleux mais sans génie, François, en mal de masculinité
affirmée, sent qu'il tient là la revanche qu'il peut prendre sur la vie.
Intronisé patron, et toute honte bue, il va se découvrir maître chanteur, fournisseur
de bijoux ciselés à partir de pierres précieuses volées aux Juifs et fabriqués par
son ancien patron caché dans la cave et, pour finir, délateur. Il s'immerge, « à
l'insu de son plein gré » dans un nouveau monde, un monde qui lui a
toujours été refusé, celui de la réussite sociale, de l'argent facile, des
sorties mondaines et de l'alcool qui coule à flots. Invité personnel de son
client favori, le commandant allemand Jünger (Nikolai Kinski), il se rend
souvent dans le cabaret parisien dans lequel les nazis font la fête en
compagnie de leurs maîtresses françaises. Dans le champ éclairé par une lumière
tamisée, François, filmé en amorce et de dos, lève son verre de champagne à la
santé de son commanditaire (photogramme 1). La mise au point est faite sur
l'officier allemand et la femme qui se trouve à sa gauche. Celui-ci triomphe,
fort de sa victoire militaire lui permettant de régner dans ce Paris transformé
en ville de plaisir et dans laquelle il incarne l'ordre viril – très éloigné de
l'ordre moral imposé par Vichy - qu'envie précisément François. Dans le
contrechamp (photogramme 2), le désormais bijoutier, revêtu du costume-cravate
et de la chemise blanche qui siéent au patron en représentation, jouit
pleinement de son nouveau statut synonyme d'une identité certes servile, mais
dotée d'un prestige inséparable de la reconnaissance sociale qu'il cherche à
tout prix. Alors qu'à l'extérieur, les rafles, les spoliations et les
déportations des Juifs se multiplient, François reste indifférent au monde qui
l'entoure, accaparé par les paillettes et les lumières de son ascension sociale
comme autant d'obstacles pour masquer la part noire de son humanité. Depuis les
années 70, dans sa représentation de la collaboration, le cinéma français a intégré,
en dépit des polémiques liées à la sortie du Chagrin et de la Pitié
(Marcel Ophuls, 1969) et de Lacombe Lucien (Louis Malle, 1974), la
responsabilité de Vichy dans la Shoah. De Section spéciale
(Costa-Gavras, 1975) ou Monsieur Klein (Joseph Losey, 1976) au film de
Fred Cavayé, en passant par Une Affaire de femmes (Claude Chabrol,
1988), Monsieur Batignole (Gerard Jugnot, 2002) ou La Rafle (Rose
Bosch, 2009), l'ignominie et la veulerie quotidienne de certains Français,
rendues possibles par la collusion entre le régime de Philippe Pétain et
l'occupant nazi, sont entrées dans la mémoire collective que seule une minorité
de nostalgiques, adeptes du pétainisme et du béret noir de la Milice, remet toujours en question.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire