Quelque part dans l'Ouest sauvage, sous une chaleur
accablante transformant le territoire comanche qu'il traverse en véritable
fournaise, un groupe de six hommes et une femme, dirigé par un hors-la-loi Clint
Hollister (Richard Widmark), vient de s'arrêter dans une ville fantôme dont le
nom s'est perdu dans les sables du désert. Clint a, quelques jours plus tôt,
obligé son ancien comparse repenti Jack Wade (Robert Taylor) à lui montrer le
lieu où ce dernier avait enterré, dans une autre vie de pilleur de banques, un
butin de 20 000 dollars. En kidnappant en même temps la femme de Jack, Peggy
(Patricia Owens), Clint espère aboutir rapidement à ses fins. Dans Le Trésor
du pendu (The Law and Jack Wade, 1958) John Sturges nous montre une
fois de plus, après les grandes réussites que furent Fort Bravo (Escape
from Fort Bravo, 1953), Un Homme est passé (Bad Day at Black Rock,
1954) ou encore Coup de fouet en retour (Backlash, 1956), sa
maîtrise de l'espace et de la place qu'il accorde à ses personnages dans le
cadre. Au premier plan et au centre de l'image, après que Jack lui a signalé la
présence hors-champ d'un cavalier comanche au sommet d'un promontoire, Clint,
une Winchester dans les mains, vient de mettre un genou à terre, sûr de lui, le
regard tourné vers la menace latente. Son attitude et son assurance connotent
un tempérament autoritaire, froid, dominateur et égocentrique. Il incarne le
pouvoir absolu, ne tolère aucune désobéissance et impose son hégémonie sur le
groupe par la puissance de son verbe et son habilité à se servir d'une arme à
feu. Profondément individualiste, sans attaches ni amis (sauf pour Jack Wade
pour lequel il éprouve un tropisme manifestement homosexuel), il est cet orgueilleux,
au panache jubilatoire et à la sombre flamboyance, qui ne peut envisager autre
chose que de vivre dans la violence et de s'emparer par tous les moyens de ce
qu'il convoite. Derrière lui, au second plan, trois personnages décentrés,
comme pour mieux indiquer leur place réelle dans la trame narrative du film, partagent
l'écran. À gauche, Rennie (Henry Silva), observe silencieusement Clint avec ces
yeux enfoncés dans leurs orbites qui donnent à son visage taillé à coups de
serpe une dimension sinistre. En dépit
de son positionnement en hauteur, ce comparse n'est qu'un second couteau,
tranchant certes, mais dénué de cette attractivité qui lui permettrait de
prétendre à être autre chose que ce qu'il est: un tueur dévoré par une haine inextinguible.
Juste derrière lui, Peggy (Patricia
Owens) est restée sur son cheval. Saisie d'inquiétude, elle reste spectatrice
de son propre enlèvement et de l'action en cours, impuissante à peser sur le déroulement
des événements. Contrairement à son habitude – tout au moins dans ses westerns
- John Sturges a renoncé à donner à ce rôle féminin la duplicité d'une Carla
Forester (Eleanor Parker)[1],
l'indépendance d'une Kary Orton (Donna Reed)[2],
l'insolence d'une Miss Denbow (Rhonda Fleming)[3]
ou encore l'agressivité teintée de masochisme d'une Kate Fischer (Jo Van Fleet)[4].
À droite du cadre, légèrement en retrait de Clint, caché derrière la roue d'un
chariot, Otero (Robert Middleton) est l'autre comparse aussi discret et taiseux
que Rennie est extraverti et vindicatif. Lié par une ancienne amitié à Jack, il
reste néanmoins proche de Clint tout en n'ayant d'autre souci que celui d'assurer
la satisfaction de son patron. Au troisième plan, les vestiges de ce qui fut un
jour une ville, témoignent tragiquement d'une mémoire et d'une civilisation
interrompues par les attaques des Indiens et par les tempêtes de sable venues
du désert. Les frontons en bois des bâtiments encore visibles dressent toujours
vers ce ciel immense leurs silhouettes fantomatiques gémissantes, comme un défi
face aux assauts du temps, du vent et du sable. Le groupe se trouve dans cette
rue principale autrefois animée, mais dont le bruit des allées et venues des
citadins, des rixes aux abords des saloons ou des règlements de comptes au coin
des rues a fini par s'estomper pour laisser la place désormais à un silence
obstiné. Enfin, à l'arrière-plan, dans le lointain et
comme ligne d'horizon, les sommets encore enneigés des montagnes découpent un
ciel d'un bleu éblouissant en autant de masses rocheuses grises se confondant
les unes avec les autres. La composition dans le plan choisie par Sturges
permet donc d'associer la profondeur et l'horizontalité des paysages à la
proximité et à la verticalité des personnages aussi figés que les ruines environnantes.
Ici, et pour quelques heures encore, la ville va s'éveiller pour laisser se
déchaîner le poids du destin et la violence cathartique.
jeudi 19 mai 2022
La composition dans le plan chez John Sturges
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