jeudi 19 mai 2022

La composition dans le plan chez John Sturges



Quelque part dans l'Ouest sauvage, sous une chaleur accablante transformant le territoire comanche qu'il traverse en véritable fournaise, un groupe de six hommes et une femme, dirigé par un hors-la-loi Clint Hollister (Richard Widmark), vient de s'arrêter dans une ville fantôme dont le nom s'est perdu dans les sables du désert. Clint a, quelques jours plus tôt, obligé son ancien comparse repenti Jack Wade (Robert Taylor) à lui montrer le lieu où ce dernier avait enterré, dans une autre vie de pilleur de banques, un butin de 20 000 dollars. En kidnappant en même temps la femme de Jack, Peggy (Patricia Owens), Clint espère aboutir rapidement à ses fins. Dans Le Trésor du pendu (The Law and Jack Wade, 1958) John Sturges nous montre une fois de plus, après les grandes réussites que furent Fort Bravo (Escape from Fort Bravo, 1953), Un Homme est passé (Bad Day at Black Rock, 1954) ou encore Coup de fouet en retour (Backlash, 1956), sa maîtrise de l'espace et de la place qu'il accorde à ses personnages dans le cadre. Au premier plan et au centre de l'image, après que Jack lui a signalé la présence hors-champ d'un cavalier comanche au sommet d'un promontoire, Clint, une Winchester dans les mains, vient de mettre un genou à terre, sûr de lui, le regard tourné vers la menace latente. Son attitude et son assurance connotent un tempérament autoritaire, froid, dominateur et égocentrique. Il incarne le pouvoir absolu, ne tolère aucune désobéissance et impose son hégémonie sur le groupe par la puissance de son verbe et son habilité à se servir d'une arme à feu. Profondément individualiste, sans attaches ni amis (sauf pour Jack Wade pour lequel il éprouve un tropisme manifestement homosexuel), il est cet orgueilleux, au panache jubilatoire et à la sombre flamboyance, qui ne peut envisager autre chose que de vivre dans la violence et de s'emparer par tous les moyens de ce qu'il convoite. Derrière lui, au second plan, trois personnages décentrés, comme pour mieux indiquer leur place réelle dans la trame narrative du film, partagent l'écran. À gauche, Rennie (Henry Silva), observe silencieusement Clint avec ces yeux enfoncés dans leurs orbites qui donnent à son visage taillé à coups de serpe une dimension sinistre.  En dépit de son positionnement en hauteur, ce comparse n'est qu'un second couteau, tranchant certes, mais dénué de cette attractivité qui lui permettrait de prétendre à être autre chose que ce qu'il est: un tueur dévoré par une haine inextinguible.  Juste derrière lui, Peggy (Patricia Owens) est restée sur son cheval. Saisie d'inquiétude, elle reste spectatrice de son propre enlèvement et de l'action en cours, impuissante à peser sur le déroulement des événements. Contrairement à son habitude – tout au moins dans ses westerns - John Sturges a renoncé à donner à ce rôle féminin la duplicité d'une Carla Forester (Eleanor Parker)[1], l'indépendance d'une Kary Orton (Donna Reed)[2], l'insolence d'une Miss Denbow (Rhonda Fleming)[3] ou encore l'agressivité teintée de masochisme d'une Kate Fischer (Jo Van Fleet)[4]. À droite du cadre, légèrement en retrait de Clint, caché derrière la roue d'un chariot, Otero (Robert Middleton) est l'autre comparse aussi discret et taiseux que Rennie est extraverti et vindicatif. Lié par une ancienne amitié à Jack, il reste néanmoins proche de Clint tout en n'ayant d'autre souci que celui d'assurer la satisfaction de son patron. Au troisième plan, les vestiges de ce qui fut un jour une ville, témoignent tragiquement d'une mémoire et d'une civilisation interrompues par les attaques des Indiens et par les tempêtes de sable venues du désert. Les frontons en bois des bâtiments encore visibles dressent toujours vers ce ciel immense leurs silhouettes fantomatiques gémissantes, comme un défi face aux assauts du temps, du vent et du sable. Le groupe se trouve dans cette rue principale autrefois animée, mais dont le bruit des allées et venues des citadins, des rixes aux abords des saloons ou des règlements de comptes au coin des rues a fini par s'estomper pour laisser la place désormais à un silence obstiné.   Enfin, à l'arrière-plan, dans le lointain et comme ligne d'horizon, les sommets encore enneigés des montagnes découpent un ciel d'un bleu éblouissant en autant de masses rocheuses grises se confondant les unes avec les autres. La composition dans le plan choisie par Sturges permet donc d'associer la profondeur et l'horizontalité des paysages à la proximité et à la verticalité des personnages aussi figés que les ruines environnantes. Ici, et pour quelques heures encore, la ville va s'éveiller pour laisser se déchaîner le poids du destin et la violence cathartique.   



[1] Fort Bravo (Escape from Fort Bravo, 1953)

[2] Coup de fouet en retour (Backlash, 1956)

[3] Règlements de comptes à OK Corral (Gunfight at the OK Corral, 1957)

[4] Ibid.





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