samedi 4 septembre 2021

L'armée chez Robert Aldrich

 

Attaque (Attack !, 1956) est le deuxième des trois films que Robert Aldrich tourna avec Jack Palance. Après Le Grand Couteau (The Big Knife, 1955) et avant Tout près de Satan (Ten Seconds to Hell, 1959), il réalise son premier film de guerre dont l'action se situe en 1944, pendant l'offensive allemande des Ardennes. Mais le scénario n'eut pas l'heur de plaire au Département de la Défense qui avait l'habitude de prêter sans tergiverser son matériel à Hollywood, pourvu que l'armée soit montrée sous un jour favorable, héroïque et en lutte pour défendre la démocratie. C'est tout le contraire avec Attaque qui dénonce violemment la hiérarchie militaire composée de Clyde Bartlett (Lee Marvin), un lieutenant-colonel carriériste et arriviste et de Erskine Cooney (Eddie Harris), un capitaine lâche, pleutre et foncièrement incompétent. Face à la corruption et l'impéritie de cette chaîne de commandement, deux subalternes, les lieutenants Harold Woodruff (William Smithers) et Joe Costa (Jack Palance), vont exécuter leurs ordres en cherchant la réussite de leur mission tout en faisant le maximum pour limiter les pertes. De retour d'une action ordonnée par le capitaine Cooney et alors que tout son peloton le croyait mort, Costa surgit d'une porte ouverte sur l'enfer (voir le photogramme). Titubant, le regard hagard, en proie à une souffrance indicible, il descend avec difficulté les marches d'un escalier qui mène à une cave dans laquelle Cooney, Woodruff et quelques hommes se sont réfugiés. Tout son corps disloqué témoigne des violents combats auxquels il a dû faire face. Son bras gauche sanguinolent, broyé par les chenilles d'un char allemand, pend inerte le long de son corps. Le mur sur lequel il s'appuie avec difficulté l'empêche de tomber, alors qu'un éclairage oblique obscurcit de manière dramatique le haut de son visage. Tout indique l'imminence de la mort, imminence encore renforcée par l'ombre sinistre que projette Costa derrière lui. Pourtant ses yeux fixes et hallucinés affichent encore l'inflexible volonté de tuer Cooney « non pour se venger mais pour débarrasser son unité d'un funeste imposteur »[1]. Le revolver qu'il tient dans sa main droite doit lui permettre, en rassemblant ses dernières forces, d'exécuter ce dernier objectif. Costa n'est pas en route pour la gloire, ni sur le point de mourir pour la bannière étoilée en héros valeureux prêt au sacrifice ultime comme le sergent Stryker (John Wayne) dans Iwo Jima (Sands of Iwo Jima, Alan Dwan, 1949), mais il meurt en raison de la stupidité et de la couardise d'un supérieur incapable du moindre discernement dans la conduite d'une opération militaire. L'ennemi est donc autant à l'intérieur qu'à l'extérieur d'une armée qui apparaît singulièrement défaillante. Par son geste, Costa ne peut être condamné qu'à l'oubli. « L'oubli ? Celui de la soldatesque anonyme, les « Costa » de tous grades et de toutes armes, victimes de la grande Histoire et des rêves de gloire ou de l'incompétence des petits chefs »[2]. Ce point de vue a, bien évidemment, été très mal reçu dans les États-Unis de Dwight D. Eisenhower - l'ancien commandant en chef des forces américaines en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale – baignant toujours dans le souvenir de la victoire sur le nazisme et peu enclins à voir sur un écran de cinéma l'aberration de la guerre et les turpitudes de ceux qui la conduisent.



[1] Robert Aldrich, Violence et rédemption de William Bourton, PUF, 2011, p.73

[2] Ibid. p.77



2 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreEffacer
  2. "Hiérarchie", "carriériste", "arriviste", "lâche", "pleutre", "incompétent", "corruption", "impéritie", "stupidité", "couardise", "supérieur incapable du moindre discernement", "porte ouverte sur l'enfer", "ennemi à l'intérieur", "singulièrement défaillante", "incompétence des petits chefs", "aberration" et "turpitudes" !!!!! Tu me donnes du vocabulaire pour décrire mes expériences passées ! Je comprends pourquoi j'en sors "disloqué" par les "violents combats". J'en ai vu passé des chenilles de char !
    J'adore l'affiche : "hot hell behind glory"

    RépondreEffacer