samedi 11 septembre 2021

La mémoire chez Robert Redford



Dans L'Homme qui murmurait à l'oreille des chevaux (The Horse Whisperer, Robert Redford, 1998), Grace MacLean (Scarlett Johansson) est victime d'un grave accident de cheval qui la laisse amputée d'une jambe. Son cheval Pilgrim, frappé par un camion, sort également de l'épreuve traumatisé et éperdu de terreur. Pressentant que le sort du cheval est étroitement associé à la santé mentale de Grace murée dans sa douleur et son infirmité, sa mère Annie (Kristin Scott Thomas) décide de les emmener tous les deux, de New-York jusqu'au Montana, pour rencontrer un dresseur de chevaux dans l'espoir d'obtenir une double guérison intérieure. Sur la route qui les mène vers l'Ouest, Annie et sa fille Grace s'arrêtent à l'entrée du Little Big Horn Battlefield National Monument, le parc national montanien consacré à l'affrontement entre l'armée américaine et les Amérindiens qui aboutit, le 25 juin 1876, à l'anéantissement du 7e régiment de cavalerie du Lieutenant-Colonel George A. Custer par les tribus Lakotas et Cheyennes de Sitting Bull et Crazy Horse. Dans ce lieu chargé d'Histoire et de mémoire, un monument funéraire a été érigé en 1881 pour commémorer le souvenir des noms des soldats qui sont tombés ici [1]. Le fracas des armes s'est tu depuis longtemps, mais la mort et tant de fantômes continuent de hanter ce lieu. Alors que le ciel s'obscurcit rapidement, Annie emprunte, seule, un sentier montant vers la colline au sommet de laquelle la ligne d'horizon se confond avec cette stèle et une clôture en fer encadrant les pierres tombales du Custer's Last Stand [2] (photogrammes 1, 2 et 3). La notion de passé se disloque comme une invitation à aller ailleurs, dans un monde d'autrefois, dans un monde où « deux cents soldats avaient été mis en pièces par ceux-là mêmes qu'ils traquaient »[3].  Les nuages, sombres et épais, semblent toucher le sommet des collines environnantes pour donner à ce paysage tranquille s'étendant à perte de vue une infinie mélancolie, propice à la méditation. Annie, emmitouflée dans sa parka beige, s'est arrêtée à quelques pas de la clôture pour regarder l'éparpillement des pierres tombales marquant l'emplacement où chaque soldat a été abattu. Une sensation d'amertume et d'affliction se dégage de la dramaturgie de la séquence. L'exposition des tombes réveille les émotions les plus enfouies d'Annie en précipitant, dans la fraîcheur du soir et la limpidité de l'air, une révélation du passé pour mieux renseigner le présent. Car ce n'est pas le souvenir des guerres indiennes qui accapare l'esprit d'Annie, mais bien sa propre existence perdue entre un mari qu'elle n'aime plus depuis longtemps, une fille qui la rejette et un métier de directrice d'un magazine de mode new-yorkais qui peine à combler la vacuité de sa vie. La rencontre avec Tom Booker la fera passer du vide au plein, de la maîtrise d'elle à l'abandon de soi au milieu des espaces majestueux du Montana.  



[1] En 2003, un mémorial indien honorant les morts Lakotas et Cheyennes est enfin construit à proximité.

[2] « L'ultime résistance de Custer »

[3] L'Homme qui murmurait à l'oreille des chevaux de Nicholas Evans, Albin Michel, 1996, p.167






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