mardi 14 septembre 2021

Le pouvoir féminin chez Samuel Fuller

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Les années 50 ont su donner aux femmes une place majeure dans le western que les amoureux du genre ne retrouveront plus dans les décennies suivantes. À l'instar de Denise Darcel dans Convoi de femmes, (Westward the Women, William A. Wellman, 1951), de Marlene Dietrich dans L'Ange des maudits (Rancho Notorious, Fritz Lang, 1952), ou de Joan Crawford dans Johnny Guitar (Johnny guitare, Nicholas Ray, 1954), Barbara Stanwyck va incarner dans Les Furies (The Furies, Anthony Mann, 1950), La Reine de la prairie (Cattle Queen of Montana, Allan Dwan, 1954), Le Souffle de la violence (The Violent Men, Rudolph Maté, 1955) et Quarante tueurs (Forty Guns, Samuel Fuller, 1957), une femme à la personnalité et aux appétences dominatrices nettement marquées. Dans ce dernier film, Jessica Drummond (Barbara Stanwyck donc) est une omnipotente propriétaire terrienne, maniant aussi bien le fouet que le colt, pour régenter d'une poigne de fer la ville de Tombstone et tout le comté de Cochise en Arizona. À la tête d'une horde sauvage de quarante gardes du corps, elle est « une femme qui chevauche, armée d'un fouet, une femme que tous les hommes désirent. Mais aucun homme ne peut la dompter, elle commande et les hommes obéissent, ils ne sont que des pantins dans ses mains[1]». Les deux photogrammes illustrent parfaitement ce rapport de force à l'avantage de Jessica. Dans la salle à manger cossue de son immense propriété, elle est assise au bout de la table, trônant au milieu de ses hommes. Un mouvement de grue combiné à un travelling latéral balaie la scène et ses convives masculins pour mieux matérialiser le pouvoir qu'elle exerce sur eux (photogramme 1). Dans ce cénacle, deux d'entre eux sont néanmoins individualisés en raison de leur proximité avec cette maîtresse femme: à sa droite, le shérif Ned Logan (Dean Jagger), un soupirant éperdument et vainement amoureux d'elle et à sa gauche, son frère Brockie (John Ericson), un être violent et irresponsable, plutôt bas de plafond, mais pour lequel elle témoigne un sentiment trouble. Illuminée par les bougies d'un lustre et celles des chandeliers disséminés sur la table et trois commodes, la tablée est singulièrement silencieuse. Pour ces hommes, la tenue de ville est le code vestimentaire de rigueur au diapason de Jessica qui, comme eux, a laissé au vestiaire Stetson, bottes et colt – mais pas la bouteille de whisky - pour apparaître parée de ses plus beaux atours (photogramme 2). Ses sourcils hauts, arqués et bien dessinés, ses yeux intenses et pénétrants, ses lèvres minces et serrées traduisent bien la froide détermination de celle qui n'envisage pas une seconde qu'un homme puisse lui tenir tête. Un collier tour de cou richement décoré et une robe de soirée noire dégageant les épaules, synonyme d'habit de cour, complètent une attitude hautaine, autoritaire et intimidante. Revêtir la robe ne traduit pas un retour à l'image conventionnelle de la femme dans le western, de l'institutrice à la fille de saloon, mais participe toujours de la même envie d'éblouir, par d'autres moyens, tous les hommes qui gravitent autour d'elle. Que ce soit l'interprétation de Jessica ou celle de Martha Wilkinson dans Le Souffle de la violence, ces rôles de femmes à poigne renvoient inévitablement à celui qu'elle tenait dans Assurance sur la mort (Double Indemnity, Billy Wilder, 1944) ou elle incarnait déjà une femme individualiste et déterminée n'hésitant pas, à l'égard des hommes, à recourir à la manipulation et à la violence. Dans Quarante Tueurs, Samuel Fuller interroge la notion de féminité compatible selon lui avec la notion de puissance dans un genre plutôt virilisé, même si dans le scénario initial, le réalisateur voulait faire mourir Jessica, cette personnalité trop flamboyante pour persister à vivre au milieu de la médiocrité. La volonté des producteurs en décida autrement.



[1] Chanson du film, chantée par Jidge Carroll et écrite par Harold Adamson et Harry Sukman.



1 commentaire:

  1. Passionnant ce matin ! 40 guns, 1 seule femme ! Mais quelle femme : " Ses sourcils hauts, arqués et bien dessinés, ses yeux intenses et pénétrants, ses lèvres minces et serrées traduisent bien la froide détermination de celle qui n'envisage pas une seconde qu'un homme puisse lui tenir tête " Johnny guitar est un de mes films préférés, hâte de découvrir celui-là !

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