Les années 50 ont su donner aux femmes une place majeure
dans le western que les amoureux du genre ne retrouveront plus dans les
décennies suivantes. À l'instar de Denise Darcel dans Convoi de femmes,
(Westward the Women, William A. Wellman, 1951), de Marlene Dietrich dans
L'Ange des maudits (Rancho Notorious, Fritz Lang, 1952), ou de
Joan Crawford dans Johnny Guitar (Johnny guitare, Nicholas Ray, 1954),
Barbara Stanwyck va incarner dans Les Furies (The Furies, Anthony
Mann, 1950), La Reine de la prairie (Cattle Queen of Montana,
Allan Dwan, 1954), Le Souffle de la violence (The Violent Men,
Rudolph Maté, 1955) et Quarante tueurs (Forty Guns, Samuel
Fuller, 1957), une femme à la personnalité et aux appétences dominatrices nettement
marquées. Dans ce dernier film, Jessica Drummond (Barbara Stanwyck donc) est une
omnipotente propriétaire terrienne, maniant aussi bien le fouet que le colt,
pour régenter d'une poigne de fer la ville de Tombstone et tout le comté de
Cochise en Arizona. À la tête d'une horde sauvage de quarante gardes du corps,
elle est « une femme qui chevauche, armée d'un fouet, une femme que tous les
hommes désirent. Mais aucun homme ne peut la dompter, elle commande et les
hommes obéissent, ils ne sont que des pantins dans ses mains[1]».
Les deux photogrammes illustrent parfaitement ce rapport de force à l'avantage
de Jessica. Dans la salle à manger cossue de son immense propriété, elle est
assise au bout de la table, trônant au milieu de ses hommes. Un mouvement de
grue combiné à un travelling latéral balaie la scène et ses convives masculins
pour mieux matérialiser le pouvoir qu'elle exerce sur eux (photogramme 1). Dans
ce cénacle, deux d'entre eux sont néanmoins individualisés en raison de leur
proximité avec cette maîtresse femme: à sa droite, le shérif Ned Logan (Dean
Jagger), un soupirant éperdument et vainement amoureux d'elle et à sa gauche,
son frère Brockie (John Ericson), un être violent et irresponsable, plutôt bas
de plafond, mais pour lequel elle témoigne un sentiment trouble. Illuminée par
les bougies d'un lustre et celles des chandeliers disséminés sur la table et
trois commodes, la tablée est singulièrement silencieuse. Pour ces hommes, la
tenue de ville est le code vestimentaire de rigueur au diapason de Jessica qui,
comme eux, a laissé au vestiaire Stetson, bottes et colt – mais pas la
bouteille de whisky - pour apparaître parée de ses plus beaux atours
(photogramme 2). Ses sourcils hauts, arqués et bien dessinés, ses yeux intenses
et pénétrants, ses lèvres minces et serrées traduisent bien la froide
détermination de celle qui n'envisage pas une seconde qu'un homme puisse lui
tenir tête. Un collier tour de cou richement décoré et une robe de soirée noire
dégageant les épaules, synonyme d'habit de cour, complètent une attitude
hautaine, autoritaire et intimidante. Revêtir la robe ne traduit pas un retour à
l'image conventionnelle de la femme dans le western, de l'institutrice à la
fille de saloon, mais participe toujours de la même envie d'éblouir, par
d'autres moyens, tous les hommes qui gravitent autour d'elle. Que ce soit
l'interprétation de Jessica ou celle de Martha Wilkinson dans Le Souffle de
la violence, ces rôles de femmes à poigne renvoient inévitablement à celui
qu'elle tenait dans Assurance sur la mort (Double Indemnity,
Billy Wilder, 1944) ou elle incarnait déjà une femme individualiste et
déterminée n'hésitant pas, à l'égard des hommes, à recourir à la manipulation
et à la violence. Dans Quarante Tueurs, Samuel Fuller interroge la
notion de féminité compatible selon lui avec la notion de puissance dans un
genre plutôt virilisé, même si dans le scénario initial, le réalisateur voulait faire
mourir Jessica, cette personnalité trop flamboyante pour persister à vivre au
milieu de la médiocrité. La volonté des producteurs en décida autrement.
mardi 14 septembre 2021
Le pouvoir féminin chez Samuel Fuller
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Passionnant ce matin ! 40 guns, 1 seule femme ! Mais quelle femme : " Ses sourcils hauts, arqués et bien dessinés, ses yeux intenses et pénétrants, ses lèvres minces et serrées traduisent bien la froide détermination de celle qui n'envisage pas une seconde qu'un homme puisse lui tenir tête " Johnny guitar est un de mes films préférés, hâte de découvrir celui-là !
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