dimanche 30 décembre 2018

Les ombres chez Michael Curtiz






Dans le plus pur style expressionniste allemand, Michael Curtiz (cinéaste américain d'origine hongroise)  utilise remarquablement l'ombre et la lumière au cours de sa très longue carrière cinématographique, commencée en Hongrie pour finir aux États-Unis en passant par l'Autriche et l'Allemagne, et s'étendant de 1912 à 1961 (1). De haut en bas, les quatre photogrammes sont extraits respectivement de Capitaine Blood (Captain Blood, 1935), de La Charge de la brigade légère (The Charge of the Light Brigade, 1936), des Aventures de Robin des bois (The Adventures of Robin Hood, 1938) et de L'Aigle des mers (The Sea Hawk, 1940). Quand la maison de production Warner Bros  offrit en 1926 à Michael Curtiz un contrat, le réalisateur eut tout le loisir pour développer son style visuel si caractéristique et « composé d'ombres s'intégrant totalement à la trame dramatique, non comme de simples inserts, mais bien comme éléments internes à l'action; en dynamisant cette dernière, elles agissent comme autant d'amplificateurs émotionnels » (2). En effet, ces ombres permettent à l'action de perdurer sans que celle-ci s'en trouve amoindrie ou ralentie, tout en donnant toute la puissance visuelle à l'image: l'ombre du médecin Peter Blood poursuit ses soins sur un blessé alors que la garde royale pénètre dans sa maison pour l'arrêter, les danseuses, entrées en courant dans le champ de droite à gauche, disparaissent pour réapparaitre au cours d'un travelling latéral, en ombres projetées sur le mur, les quatre duellistes, Robin des bois affrontant le fourbe Guy de Gisbourne  et le Capitaine Jeffrey Thorpe croisant le fer avec le félon Lord Wolfingham, sont, en ombres chinoises, au diapason d'une caméra particulièrement mobile et fluide. Le champ est donc toujours un fragment d'espace incomplet puisque Michael Curtiz nous montre que l'action peut déborder du cadre pour entrer dans un espace imaginaire qui est le hors-champ. Les personnages entrent et sortent donc en continuant d'exister. La particularité du style curtizien réside justement dans la représentation de l'espace visible et l'espace non visible. La présence des ombres permet une continuité spatiale qui réunit dans un même plan champ et hors-champ. « Le « manque à voir » produit un effet dynamique: tension vers le hors-champ et investissement font circuler la relation entre dedans et dehors de l'image » (3). L'espace se dilate et les limites du cadre, espace clos à priori, s'en trouvent, dans l'esprit du spectateur, élargies. Si les ombres assurent la persistance de la présence à l'écran des différents personnages, le son, quant à lui, permet également de prendre toute sa mesure en  servant de contrepoint et de complice à l'image: le bruit des pas de la garde royale, la musique de l'orchestre accompagnant les danseuses, le cliquetis de l'acier des épées résonnent comme autant de signes intradiégétiques susceptibles d'accroître la tension des séquences.  Ces préoccupations esthétiques, qui vont particulièrement fleurir dans le film noir des années 40 et 50,  font de Michael Curtiz un styliste qui n'a jamais – contrairement aux apparences - lâché la proie pour l'ombre.

(1) Voir la chronique sur New-York chez Michael Curtiz
(2)Tous les chemins mènent à Hollywood: Michael Curtiz de René Noizet, L'Harmattan, Champs visuels, 1997, p.99
(3) Petite fabrique de l'image de Jean-Claude Fozza, Anne-Marie Garat et Françoise Parfait, Magnard 1992, p.67


Sur le plateau des Aventures de Robin des bois, à gauche, avec un chapeau, Michael Curtiz. En costumes, Erroll Flynn, Basil Rathbone et Claude Rains.

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