La mort d'un républicain de Robert Capa (1936)
Lorsqu’il tourne Queimada
(Burn, 1969), Gillo Pontecorvo a-t-il
en tête la célèbre (mais controversée) photographie de Robert Capa prise au
cours de la Guerre d’Espagne ? L’évidence ne fait aucun doute lorsque l’on se
penche sur l’homme et sa filmographie : de Kapo (1961) à Opération Ogre
(Ogro, 1979) en passant par La Bataille d’Alger (La Battaglia di Algeri, 1966), le cinéaste italien, antifasciste convaincu, n’a
cessé de filmer toutes les formes d’oppression et de violence (totalitarisme et système concentrationnaire,
impérialisme et colonialisme, terrorisme franquiste) à travers le monde et les
époques. Dans Queimada, il analyse
les mécanismes de domination et d’hégémonie d’une puissance étrangère (le
Royaume-Uni) pour contrôler, au début du XIXe siècle, les plantations de cannes
à sucre d’une colonie portugaise au cœur de la mer des Caraïbes. Face au
pouvoir blanc, les esclaves noirs finissent par se révolter pour prendre les
armes. Le point de vue de Pontecorvo renvoie ici directement à la mémoire de la
révolution haïtienne à Saint Domingue, menée par Toussaint Louverture contre la
France entre 1791 et 1804. Mais sur
l’île de Queimada, face au nombre et à la puissance de feu des Européens, le
soulèvement est rapidement écrasé dans le sang. Acculés et cernés par l’armée
britannique, les quelques survivants de la révolte tentent ici d’échapper à
l’incendie qui ravage un champ de cannes à sucre dans lequel ils se sont
réfugiés. Cherchant vainement une issue, ils n’ont pas d’autre choix que de se
précipiter hors du brasier. L’effet de flou, le grain « sale » de l’image,
donnent une authenticité proche du documentaire (que Pontecorvo pratiqua à ses
débuts) à ce moment paroxystique. À l’instar du soldat républicain de Capa,
foudroyé en plein élan, le combattant de la liberté de Pontecorvo est fusillé à
bout portant par les soldats. La caméra du réalisateur, placée à l’arrière de
l’insurgé, privilégie le regard de ses frères d’infortune qui sont encore
piégés dans le champ de cannes à sucre, tout en cadrant ainsi, de face, les
soldats britanniques sans visages, déshumanisés, froids et mécaniques, lâchant
à bout portant leurs salves meurtrières. Les bras tendus vers le ciel, la tête
projetée vers l’arrière, le corps arqué criblé de balles, celui qui fut esclave
est transformé en martyr de la cause qu’il défend. D’un point de vue tant
narratif que visuel, son sacrifice sur l’autel de la liberté en fait une îcone
de la révolution. Allant jusqu’à l’épuisement de ses forces, et dans un lyrisme
tragique, le rebelle s’offre de face à la mort, défiant ses bourreaux dans ce geste
ultime. La violence chez Pontecorvo est toujours l’expression d’un rapport de
force politique : des forces impérialistes massacrent des insurgés issus
des classes populaires au même titre que des parachutistes français tortureront
des membres du FLN algérien dans La
Bataille d’Alger. Tourné au plus fort de la guerre du Vietnam, Queimada dénonce toutes les ingérences
coloniales passées, présentes et à venir de puissances avides d’imposer leur
ordre militaire, politique et économique au monde.
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