vendredi 21 décembre 2018

Les Fosses ardéatines chez Sergio Leone




Les deux photogrammes extraits de Il était une fois la révolution (Giù la Testa, Sergio Leone, 1971) font directement référence au massacre des Fosses ardéatines du 24 mars 1944 à Rome et aux charniers des camps de concentration de la Deuxième Guerre mondiale. En 1913, plongés au cœur de la tourmente révolutionnaire mexicaine, Juan Miranda (Rod Steiger), un paysan sans éducation, fondamentalement anarchiste et pilleur de diligences, secondé par Sean Mallory (James Coburn), un expert en explosifs de l’IRA en exil forcé, sont les témoins de la répression qu’exerce le gouverneur Don Jaime (Franco Graziosi) contre la population civile qui ne supporte plus le joug de sa tyrannie. Utilisée comme symbole de toutes les révolutions et de toutes les violences, celles du Mexique ne sont qu’un prétexte pour souligner deux discours de la part du réalisateur italien : le premier, mémoriel, fait référence au massacre des Fosses ardéatines organisé par les Allemands dans la Rome occupée de la fin de la guerre. 335 civils furent massacrés dans des grottes en représailles à l’attentat de la Via Rasella à Rome, mené par la Résistance italienne le 23 mars 1944, et au cours duquel 32 Allemands furent tués. Les fusillades du photogramme 1 et  le charnier du photogramme 2 associent également, par extension, les souvenirs, d’une part, de la Shoah par balles (les 29 et 30 septembre 1941, dans le ravin de Babi Yar en Ukraine, 33000 Juifs furent fusillés dans des fosses et à bout portant par les Einsatzgruppen) et d’autre part, de l’amoncellement de cadavres découverts au moment de la libération des camps. Le deuxième discours, pessimiste et désillusionné, renvoie à toutes les philippiques politiques qui agitent l’Italie à la fin des années 60 et au début des années 70. Sergio Leone ne disait-il pas : « les hommes de ma génération ont entendu trop de promesses. Ils avaient des rêves. Il ne leur reste que des regrets » (1). Cette affirmation peut être associée à la citation de Mao Zedong qui ouvre le film : « La révolution n’est pas un dîner social, un événement littéraire, un dessin ou une broderie; elle ne peut se faire avec élégance et courtoisie. La révolution est un acte de violence ». Comment ne pas penser aux années de plomb de 1968 aux années 80 en Italie et à leur cortège d’attentats à la bombe et d’enlèvements organisés par l’extrême-gauche ou certaines organisations néo-fascistes ? Sergio Leone, fils d'un père communiste, mais revenu de toutes les idéologies, désintègre les idéaux des révolutionnaires, plus préoccupés par leur soif de pouvoir que par les souffrances des peuples qui subissent de plein fouet les violences déclenchées par les soubresauts de l’Histoire. Dans un mouvement de grue ascendant impressionnant, la caméra de Sergio Leone survole ces fosses bétonnées où tombent, les unes après les autres , les victimes de la répression aveugle du dictateur. Imperturbables, à l’instar des soldats du tsar  fusillant la foule sur les marches de l’escalier d’Odessa (Le Cuirassé Potemkine, Sergueï Eisenstein, 1925),  la soldatesque mexicaine recharge sans discontinuer ses fusils pour accomplir sa basse besogne. Dans l’air saturé de salves et de poudre, résonnent les cris de tous ceux qui personnifient le peuple mexicain en général. Dans les deux photogrammes, et à la manière d'Eisenstein, Sergio Leone alterne successivement mouvements de foules et tragédies personnelles (toute la famille de Juan Miranda a été massacrée dans la grotte). Dans cette cavité rocheuse transformée en nécropole, la caméra virevolte à travers les couloirs pour se figer quelques secondes sur tel ou tel visage, vide de toute expression, mais fixant le spectateur, en regard caméra, dans une longue plainte silencieuse.

(1) Conversations avec Sergio Leone de Noël Simsolo, Stock cinéma, 1987 p.159



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