jeudi 22 février 2018

La séquence d'ouverture chez Delmer Daves



La séquence d’ouverture du film de Delmer Daves, La Dernière caravane (The Last Wagon, 1956) est magistrale. Un plan d’ensemble (photogramme 1) cadre un espace caractéristique des régions du Sud-Ouest des États-Unis (en fait, Oak Creek Canyon entre Sedona et Flagstaff en Arizona). Celui-ci a une vocation descriptive : les trois formations rocheuses à l’arrière-plan dominent une rivière qui s’écoule dans un environnement semi-aride composé de forêts de pins et de feuillus accrochées à une terre ocre brûlée par le soleil.  Le relief montagneux qui barre l’horizon donne à cette rivière un aspect de sérénité apparente, mais immédiatement contredite par ce que nous voyons. Au premier plan, de dos, un homme met en joue  un cavalier qui fait, au loin, abreuver sa monture, inconscient du danger qui le menace. La place que le tireur occupe, derrière un tronc d’arbre, est propice à une embuscade. Cet homme, c’est Todd le Comanche (Richard Widmark). Pourquoi tire-t-il sur cette silhouette ? Pourquoi est-il manifestement poursuivi ? Nous ne le savons pas à ce moment-ci. L’intrigue débute donc in media res et nous plonge aussitôt au coeur d’une histoire âpre dans laquelle des hommes s’affrontent dans un environnement sauvage. L’absence de musique démultiplie la tension dramatique de la scène et permet de nous concentrer exclusivement sur l’image, riche en signes iconographiques. Le vêtement à franges de Todd, issu d’un cuir animal, l’associe au coureur des bois et à la nature, permettant ainsi de préciser l’adéquation entre un personnage et un décor. C’est parce qu’il se fond dans ce paysage, qu’il sait utiliser l’art de la dissimulation que Todd triomphe de son adversaire. Ce dernier, au contaire,  semble avoir le temps et n’hésite pas à se mettre à découvert, montrant à son insu qu’il n’a pas sa place dans ce cadre hostile. La mise en perspective reliant la Winchester au cavalier, traduit l’impuissance et la vulnérabilité de ce dernier. Il ne peut donc que disparaître tragiquement. Le contrechamp (photogramme 2) est un plan rapproché. Celui-ci prend le pas sur le décor et cadre Todd le Comanche dans toute sa détermination. Les traits durs, le regard droit et aigu confirment le sang-froid du tireur, peu enclin au questionnement ou à une quelconque mansuétude. Il agit de manière réfléchie, sans émotion tout en incarnant dans l’imaginaire cinéphilique et mythologique, l’individualisme et donc la solitude du héros américain, pétri d’orgueil et de tenacité. Homme de la Frontière, Todd est l’héritier de Daniel Boone, célèbre explorateur du Kentucky et du Tennessee à la fin du XVIIIe siècle, alliant primitivisme, rejet de la civilisation et rationalisme. Richard Widmark prête ses traits à ce personnage au caractère bien trempé, dans la lignée de La Ville abandonnée (Yellow Sky de William Wellman, 1948), du Jardin du diable (Garden of Evil de Henry Hathaway, 1954 ) ou encore de Coup de fouet en retour (Backlash de John Sturges, 1956), tourné la même année que La Dernière caravane.  


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