La
séquence d’ouverture du film de Delmer Daves, La
Dernière caravane (The Last Wagon,
1956) est magistrale. Un plan d’ensemble (photogramme 1) cadre un espace
caractéristique des régions du Sud-Ouest des États-Unis (en fait, Oak Creek
Canyon entre Sedona et Flagstaff en Arizona). Celui-ci a une vocation
descriptive : les trois formations rocheuses à l’arrière-plan dominent une
rivière qui s’écoule dans un environnement semi-aride composé de forêts de pins
et de feuillus accrochées à une terre ocre brûlée par le soleil. Le relief montagneux qui barre l’horizon donne
à cette rivière un aspect de sérénité apparente, mais immédiatement contredite
par ce que nous voyons. Au premier plan, de dos, un homme met en joue un cavalier qui fait, au loin, abreuver sa
monture, inconscient du danger qui le menace. La place que le tireur occupe,
derrière un tronc d’arbre, est propice à une embuscade. Cet homme, c’est Todd
le Comanche (Richard Widmark). Pourquoi tire-t-il sur cette silhouette ?
Pourquoi est-il manifestement poursuivi ? Nous ne le savons pas à ce moment-ci.
L’intrigue débute donc in media res et nous plonge aussitôt au coeur d’une
histoire âpre dans laquelle des hommes s’affrontent dans un environnement
sauvage. L’absence de musique démultiplie la tension dramatique de la scène et
permet de nous concentrer exclusivement sur l’image, riche en signes
iconographiques. Le vêtement à franges de Todd, issu d’un cuir animal, l’associe
au coureur des bois et à la nature, permettant ainsi de préciser l’adéquation
entre un personnage et un décor. C’est parce qu’il se fond dans ce paysage,
qu’il sait utiliser l’art de la dissimulation que Todd triomphe de son
adversaire. Ce dernier, au contaire, semble avoir le temps et n’hésite pas à se
mettre à découvert, montrant à son insu qu’il n’a pas sa place dans ce cadre
hostile. La mise en perspective reliant la Winchester au cavalier, traduit l’impuissance
et la vulnérabilité de ce dernier. Il ne peut donc que disparaître
tragiquement. Le contrechamp (photogramme 2) est un plan rapproché. Celui-ci
prend le pas sur le décor et cadre Todd le Comanche dans toute sa
détermination. Les traits durs, le regard droit et aigu confirment le sang-froid
du tireur, peu enclin au questionnement ou à une quelconque mansuétude. Il agit
de manière réfléchie, sans émotion tout en incarnant dans l’imaginaire
cinéphilique et mythologique, l’individualisme et donc la solitude du héros
américain, pétri d’orgueil et de tenacité. Homme de la Frontière, Todd est
l’héritier de Daniel Boone, célèbre explorateur du Kentucky et du Tennessee à
la fin du XVIIIe siècle, alliant primitivisme, rejet de la civilisation et
rationalisme. Richard Widmark prête ses traits à ce personnage au caractère
bien trempé, dans la lignée de La Ville
abandonnée (Yellow Sky de William
Wellman, 1948), du Jardin du diable (Garden of Evil de Henry Hathaway, 1954 )
ou encore de Coup de fouet en retour (Backlash de John Sturges, 1956), tourné
la même année que La Dernière caravane.
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