dimanche 4 février 2018

La boîte en carton chez Steven Spielberg


Dans ce plan filmé en contreplongée et extrait du film Pentagon Papers de Steven Spielberg (The Post, 2017), une femme et cinq hommes sont en train de se pencher sur une boîte en carton dont le contenu semble proportionnel à l’attention qu’ils y portent. La mise au point du réalisateur laisse le premier plan, composé du carton, flou mais néanmoins omniprésent pour mieux filmer les personnages en leur donnant un sentiment de supériorité par rapport au spectateur. Ce sont tous des journalistes du Washington Post et ledit contenu, filmé hors-champ, n’est rien moins que l’intégralité des Pentagon papers expédiée en 1971 au rédacteur en chef du journal, Benjamin Bradlee (Tom Hanks), par Daniel Ellsberg (Matthew Rys), un ancien fonctionnaire de la Rand Corporation, une institution chargée de conseiller l’armée américaine. Ces milliers de pages classées secret-défense par l’administration Nixon et le Pentagone révélent l’incroyable stratégie du mensonge menée par tous les présidents américains depuis Truman à propos du sud-est asiatique en général et du Vietnam en particulier. Rédigés en 1967 à la demande du Secrétaire à la Défense Robert McNamara, ces notes révèlent particulièrement les choix stratégiques désastreux de l’armée américaine, la manipulation de l’opinion publique et le double langage qu’utilisaient les occupants de la Maison-Blanche à propos des bombardements secrets sur le Laos et de l’envoi de plus en plus massif de troupes dans une guerre qu’ils savaient perdue d’avance. Cinq hommes et une femme donc, attendent ces pièces à conviction, déjà publiées en partie par les journalistes du New-York Times, mais censurées à la demande de Richard Nixon par une injonction de la cour fédérale. Incarnant des journalistes ordinaires dans une situation extraordinaire, ils savent qu’ils tiennent là un brûlot capable de déstabiliser le pouvoir politique en place. Figés un court instant dans un moment de stupeur, leurs regards trahissent autant l’incrédulité face à l’impensable, que la certitude d’être devant un tournant de leur carrière. Steven Spielberg cadre ce moment décisif et le charge d’une valeur symbolique, en associant la détermination d’un groupe de journalistes à un contexte géopolitique particulièrement chargé de l’histoire américaine. À ce moment précis, ils savent probablement déjà que la publication des Pentagon papers renforcera le basculement de l’opinion américaine en faveur de la paix, déjà en cours depuis 1968-1969, tout en contribuant à alarmer les consciences sur la matérialité tragique de la guerre au Vietnam et sur la tentation totalitaire d’un gouvernement peu soucieux de transparence et prompt à censurer et à poursuivre en justice tous ceux qui contreviennent à sa politique. Le scandale des Pentagon Papers  se situe juste avant celui du Watergate (1972-1974) déjà porté à l’écran en 1976 par Alan J. Pakula (Les Hommes du président /All the President’s men). Ce diptyque, hymne à une presse libre et indépendante est l’antithèse du cinéma-vérité cher au documentariste Frederick Wiseman (refus des acteurs, refus du scénario comme préalable au tournage, absence de commentaires et immersion totale dans la vie quotidienne de citoyens ordinaires), pourtant, Steven Spielberg, lui aussi et à sa manière (utilisation d’acteurs célébres, mise en scène, rebondissements dramatiques calculés) participe à cette recherche du réel et à cette volonté de saisir le surgissement de la vérité.


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