Les
thèmes de la frontière et de la communauté sont omniprésents dans le film Lone Star de John Sayles (1996). Le
réalisateur ausculte au scalpel la réalité de la société américaine en général,
et texane en particulier. Dans une petite ville du Texas, non loin du Rio
Grande qui forme la frontière avec le Mexique, une enseignante d’origine
mexicaine, Pilar Cruz (Elisabeth Pena) donne un cours d’histoire à des élèves
dont les origines diverses témoignent de la multiculturalité existant dans
cette partie des États-Unis. Qu’ils soient Wasp (White, Anglo-Saxon Protestant),
Afro-américains, Hispaniques, Asiatiques, tous revendiquent leur appartenance à
une collectivité en apparence apaisée. Pilar Cruz parle de l’histoire du Texas dont les étapes
chronologiques sont marquées à la craie derrière elle sur le tableau noir. Une
grande partie de l’histoire mouvementée de cet État figure ici : colonie
espagnole intégrée à la Nouvelle-Espagne jusqu’à l’indépendance du Mexique en
1821, proclamation de la souveraineté de la République texane par Sam Houston
en 1836, intégration de cette république au sein des États-Unis en 1845 et
entrée dans les États confédérés d’Amérique en tant qu’état esclavagiste en
1861. Le portrait du chef apache Géronimo, situé à gauche, est là pour rappeler
la présence indienne avant l’arrivée des Européens, mais curieusement, aucune
allusion n’est faite, ni à la présence
française et aux explorateurs comme Cavelier de La Salle qui fondèrent Fort
Saint Louis à l’est du Texas en 1685, ni à la guerre entre les États-Unis et le
Mexique entre 1846 et 1848. Si ce cours est donc aussi passionnant, c’est parce
qu’il est à l’intersection du passé de plusieurs nations qui se sont affrontées
pour le contrôle de cette terre située entre la Red River au nord, le Rio
Grande au sud et à l’ouest et la Sabine à l’est. Mais à travers cette
enseignante, John Sayles nous parle aussi du rapport que les Texans
entretiennent tout autant avec leur propre mémoire qu’avec la création des
États-Unis. D’origine hispanique donc, mais née aux États-Unis, Pilar Cruz est
convaincue que le Texas d’aujourd’hui est inévitablement le produit de ces
affrontements du passé. La reconnaissance et l’acceptation des apports
culturels, linguistiques et sociologiques de chaque communauté doivent
permettre de s’approprier un même espace et d’y vivre en bonne intelligence. Elle
devra pour cela affronter des parents d’élèves Wasp encore imprégnés du
souvenir des sacrifiés d’Alamo et de la victoire texane de San Jacinto sur le
général Santa Anna en 1836. Ces parents n’envisagent le réél que dicté par le
point de vue des vainqueurs. En cela, le cours d’histoire est particulièrement
sensible. L’enjeu mémoriel n’est donc que le révélateur des rapports de force
et de pouvoir qui traversent la société texane entre des minorités
(particulièrement hispanique) revendiquant une place de plus en plus importante
et des Wasp encore majoritaires, mais qui sentent que le vent démographique est
en train de tourner. En plaçant Pilar au cœur de ce questionnement, John Sayles
se positionne en digne héritier de John Ford qui s’était toujours interrogé sur
l’individu au sein d’une communauté. Pour ce dernier, le fait que chacun trouve
sa place – ou pas, comme Ethan Edwards dans La
Prisonnière du désert (The Searchers,
1956) – est le préalable au bon fonctionnement d’une démocratie. La question
reste plus que jamais d’actualité aujourd’hui.
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