samedi 10 février 2018

Le cours d'histoire chez John Sayles


Les thèmes de la frontière et de la communauté sont omniprésents dans le film Lone Star de John Sayles (1996). Le réalisateur ausculte au scalpel la réalité de la société américaine en général, et texane en particulier. Dans une petite ville du Texas, non loin du Rio Grande qui forme la frontière avec le Mexique, une enseignante d’origine mexicaine, Pilar Cruz (Elisabeth Pena) donne un cours d’histoire à des élèves dont les origines diverses témoignent de la multiculturalité existant dans cette partie des États-Unis. Qu’ils soient Wasp (White, Anglo-Saxon Protestant), Afro-américains, Hispaniques, Asiatiques, tous revendiquent leur appartenance à une collectivité en apparence apaisée. Pilar Cruz  parle de l’histoire du Texas dont les étapes chronologiques sont marquées à la craie derrière elle sur le tableau noir. Une grande partie de l’histoire mouvementée de cet État figure ici : colonie espagnole intégrée à la Nouvelle-Espagne jusqu’à l’indépendance du Mexique en 1821, proclamation de la souveraineté de la République texane par Sam Houston en 1836, intégration de cette république au sein des États-Unis en 1845 et entrée dans les États confédérés d’Amérique en tant qu’état esclavagiste en 1861. Le portrait du chef apache Géronimo, situé à gauche, est là pour rappeler la présence indienne avant l’arrivée des Européens, mais curieusement, aucune allusion n’est faite, ni à la  présence française et aux explorateurs comme Cavelier de La Salle qui fondèrent Fort Saint Louis à l’est du Texas en 1685, ni à la guerre entre les États-Unis et le Mexique entre 1846 et 1848. Si ce cours est donc aussi passionnant, c’est parce qu’il est à l’intersection du passé de plusieurs nations qui se sont affrontées pour le contrôle de cette terre située entre la Red River au nord, le Rio Grande au sud et à l’ouest et la Sabine à l’est. Mais à travers cette enseignante, John Sayles nous parle aussi du rapport que les Texans entretiennent tout autant avec leur propre mémoire qu’avec la création des États-Unis. D’origine hispanique donc, mais née aux États-Unis, Pilar Cruz est convaincue que le Texas d’aujourd’hui est inévitablement le produit de ces affrontements du passé. La reconnaissance et l’acceptation des apports culturels, linguistiques et sociologiques de chaque communauté doivent permettre de s’approprier un même espace et d’y vivre en bonne intelligence. Elle devra pour cela affronter des parents d’élèves Wasp encore imprégnés du souvenir des sacrifiés d’Alamo et de la victoire texane de San Jacinto sur le général Santa Anna en 1836. Ces parents n’envisagent le réél que dicté par le point de vue des vainqueurs. En cela, le cours d’histoire est particulièrement sensible. L’enjeu mémoriel n’est donc que le révélateur des rapports de force et de pouvoir qui traversent la société texane entre des minorités (particulièrement hispanique) revendiquant une place de plus en plus importante et des Wasp encore majoritaires, mais qui sentent que le vent démographique est en train de tourner. En plaçant Pilar au cœur de ce questionnement, John Sayles se positionne en digne héritier de John Ford qui s’était toujours interrogé sur l’individu au sein d’une communauté. Pour ce dernier, le fait que chacun trouve sa place – ou pas, comme Ethan Edwards dans La Prisonnière du désert (The Searchers, 1956) – est le préalable au bon fonctionnement d’une démocratie. La question reste plus que jamais d’actualité aujourd’hui.


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