Dans Red River (Howard Hawks, 1948), Tess
Milay (Joanne Dru) est une femme hors du commun. Au cours de l’attaque d’un
convoi par un groupe d’Indiens, Tess vient de recevoir une flèche dans l’épaule
droite. En bonne pionnière, elle a probalement dû traverser mille périls :
la traversée de déserts brûlants et de rivières en crue, le franchissement de
cols enneigés, les descentes de falaises abruptes par les chariots et,
inévitablement, l’attaque des Indiens (forcément hostiles en 1948). N’ayant pas
froid aux yeux, elle fait le coup de feu
aux côtés des hommes, lorsqu’un Indien mal intentionné lui décoche ce
trait, clouant Tess à une planche en bois qui lui sert de dossier. La longueur
de la flèche, son empennage très travaillé bien visible et l’habileté de
l’archer témoignent de la puissance de l’impact. Mais en dépit de la douleur
qui doit irradier tout son corps, et alors que l’affrontement fait rage, pas un
battement de cil, pas un tressaillement, pas le moindre gémissement ne viennent
pertuber la conversation qu’elle a, à cet instant, avec Matthew Garth, Matt
pour les intimes, un cowboy accouru il y a peu de temps pour défendre le
convoi. En dépit donc d’un probable calvaire intérieur, elle poursuit une
conversation de salon, comme si de rien n’était, cherchant manifestement à
faire passer sa souffrance pour un léger désagrément, une contrariété passagère,
au plus, un agacement transitoire. Mais ses yeux énamourés, tranchant avec son
attitude aussi farouche que désinvolte, ne trompent pas, puisqu’en face, celui
qui incarne Matt n’est autre que Montgomery Clift dans son premier rôle au
cinéma. Cet acteur au physique avantageux n’a pas encore tenu dans ses bras
Elisabeth Taylor, Donna Reed ou Marilyn Monroe, mais cela ne saurait tarder. Pourtant
avec Joanne Dru, il ne perd rien au change. Comme souvent dans le cinéma de
Hawks, le couple se toise d’abord, s’observe de loin, se lance quelques piques
bien senties, tourne autour de l’autre comme les Indiens tournent autour du
convoi, puis se rapproche en cercles concentriques de plus en plus serrés. L’attitude de Tess dénote surtout une
confiance en soi inébranlable. Ni épouse, ni mère, ni femme fatale, la jeune
pionnière se mesure avant tout à sa capacité à maîtriser son destin indépendamment
des hommes, et se rapproche ici du personnage de Vienna (Joan Crawford dans Johnny Guitar de Nicolas Ray, 1954).
Toutes deux incarnent des femmes ne dépendant que d’elles-mêmes, organisant
leur vie comme elles l’entendent, choisissant les hommes pour lesquels leur
féminité représente toujours un défi. Pour Tess, cet itinéraire est un voyage initiatique au cours duquel la femme conquiert progressivement un rang égal à celui des cowboys et autres personnages masculins. Figure incontournable du western, la
pionnière est présente à l’écran sous les traits de Sabra Cravat (Irene Dunne,
dans La Ruée vers l’Ouest/Cimarron de Wesley Ruggles, 1931), de
Denver ( Joanne Dru encore , dans le Convoi
des braves/Wagon Master de John
Ford, 1950) ou encore de Fifi Danon (Denise Darcel dans Convoi de femmes/Westward the
Women de William A. Wellman, 1951). Toutes ces femmes mythifiées
symbolisent une école de l’audace et de l’intrépidité qui doit triompher de toutes
les épreuves que le convoi rencontre sur son chemin vers la Terre promise.
Libérées des conventions , elles revendiquent un rôle et une place que peu de
cinéastes ont su capter dans un genre cinématographique très masculinisé.
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