La Ligne rouge (1998)
Le Nouveau Monde (2005)
Terrence Malick
filme la nature de manière exceptionnelle et parvient à capter l’essence des liens
qui associent les hommes à la terre. Dans La Ligne rouge (The Thin Red Line/1998) et dans Le
Nouveau monde (The New World/2005),
il célèbre une nature tour à tour enveloppante, hostile, protectrice et
finalement plus grande que les hommes qui la traversent. Que ce soient les
soldats américains à la conquête de l’île de Guadalcanal dans le Pacifique en
1942, ou les explorateurs britanniques découvrant les côtes de l’actuelle
Virginie en 1607, le couvert végétal est d’abord pour ces hommes un espace
exubérant dans lequel les herbes folles dansent autour d’eux. Dans La Ligne rouge, le soldat courbé, avançant
avec précaution pour repérer les tireurs japonais embusqués, s’immerge dans
cette végétation qui ploie et ondoie sous le vent. Les rayons du soleil
balaient, au gré des trouées nuageuses, les pentes de cette colline qu’il faut
à tout prix contrôler. Le cinéma de Terrence Malick évoque systématiquement un
rapport spirituel et mystique entre des individus et la terre qu’ils foulent de
leurs pieds. La recherche d’un paradis terrestre est au cœur de l’œuvre du
cinéaste. Le ciel, forcément immense, le soleil, la faune, la flore et le vert
du tapis végétal apaisant sont en parfaite harmonie avec des hommes encore
innocents. Filmée le plus souvent en plans larges propices à situer l'environnement, et enrobée de séduction silencieuse,
l’avancée des soldats est d’abord un prétexte à de longs monologues
introspectifs et existentialistes, en voix off, sur la guerre, la vie, la mort,
la création ou la conscience. Mais, au
fur et à mesure de l’escalade de cette colline, une tension s’établit entre les
soldats et leur environnement; le danger va sourdre au milieu de cette
végétation exubérante. La hauteur de ces herbes n’est plus alors qu’un mince
rempart illusoire face à la puissance de feu que va déclencher l’armée
japonaise, pour plonger ce paradis fantasmé en enfer. La même interrogation parcourt
Le Nouveau Monde, avec encore plus
d’acuité, puisqu’il s’agit de ce moment charnière que représente la première rencontre
entre les Britanniques et la tribu des Powhatan, ce moment où tout est encore
possible entre hostilité et coexistence pacifique. Les contraires peuvent
encore s’harmoniser entre un puritanisme matérialiste conquérant et un
polythéisme incarné par les esprits des forces naturelles comme l’eau, le feu
ou les animaux. Le fantassin, tout d’acier vêtu et armé d’une hallebarde,
regarde d’autres herbes aussi hautes que lui et la ligne d’horizon sylvestre
qui barre la profondeur de champ. Voici l’espace des guerriers powhatan, un
sanctuaire naturel, fusionnel, à partir duquel ils observent avec
circonspection et méfiance les nouveaux venus. L’arme offensive brandie au-dessus
du soldat dit la même suspicion face à cette végétation sauvage et non
domestiquée qu’il pressent comme menaçante. À l’instar de La Ligne rouge, qu’il soit Japonais ou Amérindien, l’Autre est pour
le moment invisible. Mais la souillure de cet Eden qui retient sa respiration est en marche. Les Européens, mus par leur rapacité et leur désir de vaincre, vont rapidement imposer leur ordre barbare et faire plier toute
la tribu. Terrence Malick, au-delà de l’union passagère entre John Smith et
Pocahontas, filme un autre paradis perdu et surtout l’échec du momentum qui aurait pu changer, de part
et d’autre, la vision de deux mondes, l’Ancien et le Nouveau.