vendredi 30 septembre 2016

Vincent Van Gogh chez Anatole Litvak


Quatre grands rôles ont marqué la carrière de ce prodigieux acteur de théâtre et de cinéma britannique qu’est Peter O’Toole. Il immortalise en 1962 le personnage de T.E. Lawrence dans le génial et indépassable Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia de David Lean), revêt le costume du roi d’Angleterre Henri II dans Becket (Peter Glenville/1964), incarne un officier de marine culpabilisé pour avoir abandonné son navire à la suite d’un naufrage dans Lord Jim (Richard Brooks/1965), et personnifie jusqu’à la démence un officier nazi sans pitié dans La Nuit des Généraux (The Night of the Generals). Les trois photogrammes utilisés sont extraits de ce film réalisé en 1967 par Anatole Litvak, un réalisateur américain d’origine ukrainienne.
L’action se passe en 1944 à Paris. Après s’être illustré avec la plus extrême violence en Russie et en Pologne, le général S.S Tanz, débarrassé de son uniforme et revêtu d’un costume civil, entre dans le musée du Jeu de Paume, accompagné de son chauffeur, le caporal Hartmann (Tom Courtenay). Dans ce musée, une salle est réservée aux tableaux pillés par les Allemands et provenant de musées parisiens ou de collections privées. Les deux hommes déambulent devant les chefs-d’œuvre de Boucher, Renoir, Gauguin, Toulouse-Lautrec ou Degas. En arrivant devant le tableau de Van Gogh, Autoportrait, le général Tanz s’arrête brutalement. À sa vue, et dans un plan subjectif, il est pris de vertige, des spasmes convulsifs agitent son œil droit, et tout son visage se contracte de manière intense, vibrante et déchirante. Son regard perdu et son attitude traduisent un trouble intérieur, une profonde schizophrénie qui le relie au tableau de Van Gogh. Ce dernier matérialise le miroir de sa propre folie.


Vincent Van Gogh a peint de nombreux autoportraits, mais celui-ci est probablement l’un des plus saisissants. Réalisé en 1889, au moment où le peintre est interné dans l’hôpital psychiatrique de Saint-Rémy de Provence, son visage traduit, par son regard interrogateur et intense, le tumulte intérieur et désespéré qui l’habite à ce moment-là. Tous ses traits, durs et anguleux, sont embrasés par les flammes tourbillonnantes qui entourent son corps. Il émane de ce portrait une singulière détresse qui s’exprime par un cri d’autant plus assourdissant qu’il est muet. Vincent Van Gogh se suicidera   l’année suivante. Dans ce face-à-face entre un homme et un tableau, et de manière quasi-télépathique, le général Tanz perçoit donc bien ce feu qui brûle la personnalité du peintre hollandais et le reconnaît comme son alter ego. La frontière entre son psychisme et le monde environnant est abolie. Mais cette fusion des esprits s’arrête là, car le général Tanz est d’abord un implacable et ignoble officier nazi, capable d’ordonner la destruction de tout un quartier de Varsovie au lance-flammes et d’assassiner des prostituées au cours de ses escapades nocturnes. L’abîme de démence qui le submerge et le tétanise amplifie un autre point de rupture en préparation puisque cette visite au musée se déroule le 18 juillet 1944, soit deux jours avant la tentative d’assassinat contre Hitler par une partie de l’état-major de l’armée allemande. Peter O’Toole donne une interprétation saisissante et d’une noirceur vertigineuse de cet officier nazi, monstre froid et raide, incapable de ressentir la moindre empathie envers ses semblables et enfermé dans une logique mortifère et destructrice.



Le major Grau (Omar Sharif) et le général Tanz (Peter O'Toole)



Aucun commentaire:

Publier un commentaire