jeudi 22 septembre 2016

Le tricycle chez Stanley Kubrick


La séquence du tricycle de Danny extraite de Shining (1980) est un terrible et angoissant signal lumineux imprégnant la rétine pour mieux le transmettre au cerveau du spectateur. Le petit garçon est le fils de Jack et de Wendy Torrance (Jack Nicholson et Shelley Duvall). Le père a été recruté par la direction de l’hôtel Overlook, au cœur des Rocheuses, pour s’occuper de la maintenance du bâtiment pendant les longs mois d’hiver qui le coupent du reste du monde. Ce huis clos étouffant, cette extrême solitude et les réminiscences d’un meurtre particulièrement sanglant qui s’est déroulé plusieurs années auparavant sur les lieux mêmes, vont avoir raison de l’équilibre fragile de Jack qui va basculer dans une schizophrénie mortifère et anéantir la cellule familiale.
Pour rompre la monotonie de ses journées, Danny et son tricycle arpentent les longs couloirs de l’hôtel tout en traversant de gigantesques salles de réception. Cette exploration est filmée de manière extrêmement fluide grâce au procédé, révolutionnaire à l’époque, de la steadycam. Il s’agit d’une caméra reliée par un bras articulé au caméraman qui lui permet de marcher et de courir tout en gardant une image très stable. La tyrannie des rails sur lesquels se déplaçait jusque-là la caméra est ainsi contournée. Ces longs travellings avant, menaçants, suggérant une présence hostile, et cette caméra placée très bas dans un mouvement reptilien, cadrent Danny de dos pesant frénétiquement sur les pédales de son tricycle. « Les roues résonnent sur le plancher de bois et ronronnent sur les tapis à un rythme hypnotique » (1). Ces tapis ont des décorations à motifs amérindiens rappelant la construction de l’Overlook sur une sépulture indienne. Cette nouvelle profanation et ce mépris de la mémoire accentuent l’enfermement des personnages dans cette maison hantée par les souvenirs du passé. Cette exploration, anodine en apparence, lui permet de parcourir tous les couloirs qui s’apparentent à un véritable labyrinthe que l’on retrouve stylisé sur la moquette. L’exégèse abondante du film a fait du labyrinthe une figure récurrente. Que ce soient le labyrinthe de verdure à l’extérieur de l’Overlook, sa reproduction en miniature dans l’une des salles, les couloirs et les figures géométriques sur le sol, sans oublier les méandres torturés du cerveau de Jack, ce motif sert de fil conducteur à la descente aux enfers de ce microcosme familial. Dans les deux plans, tout est net et la profondeur de champ permet d’insister sur ces couloirs qui semblent ne pas avoir d’issue, et qui s’articulent autour de grandes salles très éclairées, mais qui ne résonnent plus aux pas des visiteurs. L’espace de jeu de Danny s’apparente donc à la paranoïa de Jack, d’autant plus facilement que le petit garçon est doté du shining : une perception extrasensorielle qui lui permet de se projeter dans les cauchemars passés et à venir.



Le tricycle a déjà été associé à un autre scénario infernal. Dans La Malédiction (The Omen de Richard Donner/1976), le tricycle du fils de Satan, Damien, heurte le tabouret sur lequel se trouve sa mère. Cette dernière est projetée par-dessus la balustrade dans une chute mortelle. Comme dans Shining, l’opposition entre un objet du quotidien associé à l’enfance, pas innocente du tout, et un environnement chaotique et malfaisant fait merveille. On ne sort pas tout à fait indemne de la vision de Shining.

(1) Shining de Roger Luckhurst, BFI, Les classiques du cinéma, Akiléos, 2016 p.15



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