jeudi 8 septembre 2016

Le rêve américain chez David Mackenzie


Hell or High Water (2016), du réalisateur britannique David Mackenzie, devait s’intituler Comancheria mais seule la version distribuée en France a gardé ce titre sublimement évocateur. Il s’agit d’un territoire à cheval sur l’est du Nouveau-Mexique, l’ouest du Texas et de l’Oklahoma, le sud du Colorado et du Kansas, sillonné par les cavaliers comanches jusqu’en 1860. Constituée de plaines et de plateaux dans sa plus grande partie, la Comancheria est dotée dans sa partie occidentale d’un climat semi-aride et d’une prairie qui se dégrade progressivement pour laisser la place à des formations herbeuses plus rases. C’est donc à la frontière entre le Nouveau-Mexique et le Texas que se situe l’action du film et particulièrement le plan qui nous intéresse ici. Deux frères, Toby (Chris Pine) et Tanner Howard (Ben Foster), pour éviter la saisie de leur maison familiale par une banque, la Texas Midlands Bank, décident de la braquer pour rembourser le prêt qu’elle avait accordé à leur mère, décédée depuis quelques jours. C’est ce que l’on appelle une circulation monétaire bien organisée. La scène se situe quelque part entre l’univers de Stephen Frears (Hi-Lo Country/1999) et celui des frères Coen (No Country for Old Men/2007). Chez Stephen Frears, Big Boy (Woody Harrelson) et Pete (Billy Crudup), deux cow-boys en rupture de front, étaient incapables de s’adapter après 1945 au nouveau contexte économique dominé par les gros éleveurs cherchant à absorber les petits élevages et leurs propriétaires. Dans le film de Mackenzie, Toby et Tanner sont aujourd’hui les laissés-pour-compte de la croissance américaine, ceux qui ont été laminés par la crise bancaire de 2008 et qui sont étranglés et lessivés par des prêts dont les taux d’intérêt ont explosé. Les gros éleveurs ont été remplacés par de nouveaux prédateurs bien plus dangereux : les banquiers. Au-dessus de leur ranch, les nuages uniformes et épais forment une voûte qui s’apprête à se déchirer pour déverser des trombes d’eau sur un paysage désolé. Toby est debout à gauche et Tanner est assis à droite à l’arrière d’un pick-up qui semble avoir autant de miles à son compteur qu’il y a de néons sur Times Square. À droite, une masure menace de tomber en ruine, et à l’arrière une éolienne de pompage pour puiser l’eau dresse son architecture de fortune vers le ciel. À l’arrière-plan, quelques arbres accentuent la pigmentation verte du champ chromatique qui domine la scène. La couleur verte de leurs vêtements, associée à l’herbe, enracinent les deux frères dans un espace géographique et socio-économique qui menace à tout moment de les submerger. Silencieux, les deux hommes regardent, droit devant eux, ces étendues herbeuses qu’aucun obstacle ne vient perturber, à l’exception de ces barbelés qui matérialisent l’impossibilité d’accéder au rêve américain. La désolation est omniprésente dans cette partie des États-Unis oubliée de tous, ou presque, et qui meurt à petit feu, faute d’espérance économique et de dynamisme démographique. Pris en chasse par deux policiers texans, Marcus (Jeff Bridges) et Alberto (Gil Birmingham), Toby et Tanner traversent des bourgs sinistrés par la crise mais qui continuent de proclamer avec candeur, via des panneaux publicitaires au bord de la route, comment gagner de l’argent rapidement (Fast check) et comment payer ses dettes. Dans ce Texas ou les armes à feu sont plus nombreuses que les hommes qui le peuplent, la violence est souvent la réponse au désespoir de la part d’individus qui n’ont plus à rien à perdre. Ce néo-polar westernien survitaminé et doté néanmoins d’un humour qu’une autre fratrie ne désavouerait pas, celle des frères Coen, est superbe !






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