mardi 30 août 2016

Champ et contrechamp chez Mel Gibson


L’épilogue du film Apocalypto de Mel Gibson (2006) est d’un lyrisme absolu. Fait prisonnier par des guerriers mayas, Patte de Jaguar (Rudy Youngblood) réussit à s’enfuir à travers la jungle du Yucatan (Mexique) avec une meute d’ex-geôliers à ses trousses. Cette course-poursuite qui accompagne l’essentiel du film s’achève sur une plage balayée par des rafales de pluie. Épuisé, hagard, Patte de Jaguar, tombé à genoux sur le sable gorgé d’eau, s’apprête à recevoir le coup de grâce infligé par ses deux poursuivants, quand les trois hommes se figent en regardant un hors-champ que le spectateur ne peut deviner. La caméra filme de manière frontale leurs visages, se rapproche de Patte de Jaguar en travelling avant puis, dans un mouvement enveloppant, contourne celui-ci par l’arrière pour rompre la traditionnelle ligne des 180 degrés et offrir au spectateur le contrechamp qui s’offrait aux trois protagonistes depuis plusieurs secondes. Par un mouvement de caméra circulaire, champ (ce que nous voyons de Patte de Jaguar et de ses poursuivants) et contrechamp (ce que voient les trois personnages) sont donc unis dans un même et unique plan. Et ce qu’ils observent est lourd de menaces.


Quatre navires espagnols au mouillage barrent l’horizon de leurs masses sombres se détachant difficilement des nuages bas et de la bruine qui enveloppent tout l’espace. La tête de Patte de Jaguar est filmée en amorce (la moitié de la tête et une partie de son épaule au bord du cadre) et sa tétanie, son immobilisme disent son incompréhension et son incrédulité face à cette apparition aussi étrange qu’inattendue.


Trois barques lourdement chargées se dirigent vers la plage. Les oriflammes, les arquebuses, les casques et la croix du Christ se détachent nettement de l’ensemble. Sans dialogues, mais avec la seule puissance de l’image, ce contrechamp préfigure ainsi, par un autre hors-champ, mais cette fois-ci mental, la confrontation à venir entre deux cultures, deux civilisations que tout sépare. La volonté d’évangéliser des peuples dits ignorants et donc sauvages, ainsi que les terres à conquérir par le fer et le feu si nécessaire, se lisent sur ces hommes debout dans leurs embarcations, sûrs de leur bon droit et de leur mission civilisatrice. Ce débarquement ne peut donc se traduire que par la disparition de la civilisation maya qui ne peut opposer aux armures et à la poudre que des lances, des arcs ou des casse-têtes. Les premiers contacts entre les Espagnols et les Mayas datent de 1502 mais il faudra attendre 1547 pour que l’ensemble du Yucatan et ses cités mayas soient soumis à l’occupant. C’est toute la violence de la conquête espagnole qui est suggérée par ce champ-contrechamp.







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