samedi 20 août 2016

Le nationalisme chez Robert Wise



L’action se déroule en 1926 en Chine en pleine guerre civile qui oppose les forces communistes aux nationalistes de Tchang Kaï-chek. Symbole de la présence étrangère, une canonnière américaine, le San Pablo, patrouille sur le fleuve Yang-Tsé Kiang (aujourd’hui, Chang Jiang) pour protéger les intérêts et les ressortissants du pays de l’Oncle Sam. Devant les tensions grandissantes, le capitaine de la canonnière, Collins (Richard Crenna, à droite) se rend à la mission Lumière de Chine pour évacuer son responsable Jameson (Larry Gates à gauche) et son institutrice Shirley Eckert (Candice Bergen, au centre). Le champ-contrechamp et les dialogues que s’échangent les deux hommes illustrent le point de vue du réalisateur Robert Wise.

 Collins : - Mon devoir est de vous protéger.
Jameson : - Nous nous sommes déclarés apatrides. Nous avons envoyé nos noms à Genève.
Collins : - C’est impossible.
Jameson : - Nous avons renoncé à notre nationalité. Nous ne relevons plus de votre autorité ni de votre responsabilité. Nous avons convaincu les gens qu’il n’y a aucun rapport entre nous et les canonnières. Vous nous mettez en danger.
Collins : - Ils vous tueront. On s’entretuera, il est trop tard pour de telles subtilités.

Le propos est subversif et la métaphore limpide. La Canonnière du Yang-Tsé (The Sand Pebbles/1966) dénonce de manière vitriolée l’impérialisme américain et son ingérence non pas en Chine, mais au Vietnam. Le  refus de Jameson de suivre le capitaine Collins est une humiliation pour ce dernier figé dans sa raideur, son incompréhension et son uniforme immaculé. Collins incarne l’armée américaine droite dans ses bottes face à des civils qui lui échappent et qui préfèrent devenir apatrides plutôt que de se mettre sous la protection du drapeau américain. Le propos peut apparaître, au moment où est tourné le film, iconoclaste en raison du soutien majoritaire de l’opinion publique aux bombardements massifs menés par l’aviation américaine au Nord-Vietnam en 1965 et 1966. Au nom de la lutte contre le communisme mondial, la nation adhère donc à l’intervention armée dans cette partie du sud-est asiatique. À ce moment, la contestation des étudiants contre l’intervention américaine dans le Sud-est asiatique reste encore minoritaire mais va peu à peu se renforcer. Dès 1967, sur les campus universitaires, des insoumis préféreront brûler leurs livrets militaires plutôt que de partir se battre pour une cause qu’ils ne reconnaissent pas. Le nationalisme et la fidélité à la bannière étoilée se désagrègent inexorablement. Le point de vue de Robert Wise, violemment anticolonialiste et fondamentalement humaniste et pacifique reste néanmoins désenchanté et amer puisque Jameson et Collins mourront de mort violente rendant la neutralité impossible et l’interventionnisme en terre étrangère condamnable. Deux ans avant l’offensive du Têt (1968) menée par le Viet Cong et l’armée nord-vietnamienne, qui contribuera à faire basculer l’opinion publique américaine de plus en plus hostile à la politique de Lyndon Johnson, le réalisateur fait preuve d’une grande lucidité. Daniel Grivel et Roland Lacourbe (1) disent que l’œuvre « fut hargneusement attaquée, aussi bien par la droite que par la gauche. Les uns la taxant de scandaleuse et déshonorante pour l’armée américaine, les autres jugeant son propos naïf et réactionnaire ou pour le moins démobilisateur. Alors que l’intention manifeste  du réalisateur avait été de ne ménager personne : ni les Américains, ni les communistes, ni les nationalistes». Cinquante ans plus tard, La Canonnière du Yang-Tsé reste un film passionnant.

(1)  Robert Wise de Daniel Grivel et Roland Lacourbe aux éditions Edilig (1985)  p.122 



                         De gauche à droite: Steve McQueen, Candice Bergen et Richard Crenna

Aucun commentaire:

Publier un commentaire