jeudi 4 août 2016

Le soleil de minuit chez Christopher Nolan



Extraites d’Insomnia (2002), les séquences se déroulent à Nightmute en Alaska au nord du cercle polaire arctique. Le soleil de minuit, cette période de juin à septembre au cours de laquelle le soleil ne se couche jamais, y imprime sa marque sans déranger le sommeil des habitants de cette petite ville, sauf un. L’inspecteur Will Dormer (Al Pacino, une fois de plus renversant)  a été envoyé de Los Angeles sous ces hautes latitudes pour enquêter sur le meurtre d’une jeune adolescente. Mais ce policier présenté comme un modèle d’efficacité est en fait sous le coup d’une enquête disciplinaire concernant une sombre affaire de fabrication de preuves dans un dossier  criminel. Sur les traces du meurtrier Walter Finch (Robin Williams, parfait et étonnant dans un rôle à contre-emploi), Will Dormer tue (accidentellement ?) son collègue Hap Eckart (Martin Donovan) qui était sur le point de dénoncer à sa hiérarchie ses méthodes controversées. Pris en tenaille entre Finch qui le manipule et une inspectrice locale (Hillary Swank, solaire) qui  trouve la mort de Hap de plus en plus suspecte, Will est un personnage perdu qui erre dans les rues désertes de Nightmute. La clarté du jour continu combinée à l’étau qui se resserre autour de lui l’empêchent de trouver le sommeil. L’espace géographique et sa position en latitude ont rarement été au cinéma des personnages à part entière et Christopher Nolan joue avec cette lumière obsédante enveloppant une ville perdue au  milieu de nulle part. Les immenses forêts, les glaciers et les lacs omniprésents renvoient aux romans de David Vann (1) et forment autant de repères hors norme dans cette immensité toujours sauvage, cette «Terre du soleil de minuit» encore peu domestiquée. Les montagnes escarpées aux sommets enneigés écrasent de leur majesté la rue principale et réduisent Will à une figure errante, cherchant à fuir son passé mais bientôt rattrapé par son futur. Will serait un Vincent Hanna (le flic interprété déjà par Al Pacino dans Heat de Michael Mann/1995) qui aurait mal tourné, aveuglé par sa puissance parce qu’il se croit intouchable. La gérante de l’auberge dans laquelle Will tente désespérément de dormir lui dit que « seules deux sortes de personnes vivent en Alaska : celles qui y sont nées et celles qui viennent ici pour fuir quelque chose». Ses déambulations diurnes au milieu d’une population endormie soulignent sa fêlure et son déséquilibre. Incontestablement, cette  part d’ombre de Will l’isole de ses collègues et le rapproche du même coup du criminel qu’il pourchasse. Pour Will Dormer, la devise de l’Alaska, «Le Nord vers l’Avenir» n’a jamais aussi mal porté son nom.


(1) Sukkwan Island de David Vann aux Éditions Gallmeister (2010)


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