dimanche 17 mars 2024

L'émancipation chez William Wyler

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Dans L'Héritière (The Heiress, 1949), William Wyler met en scène, au début et à la fin du film, deux séquences parfaitement antinomiques concernant la personnalité de la fille d'un riche médecin, Catherine Sloper (Olivia de Havilland dans le rôle-titre), alors qu’elle gravit, dans les deux cas, les marches du même escalier situé dans sa vaste demeure des beaux quartiers de New York.  Si l’utilisation de la plongée, censée écraser la scène et les personnages qui s’y trouvent, s’avère cohérente dans le photogramme 1, elle trouve néanmoins sa contradiction dans le photogramme 2.

En effet, dans le photogramme 1, la mine défaite, le regard perdu dans le vide et toute de noir vêtue, Catherine monte d’un pas chancelant à l’étage, un sac dans une main, une valise dans l’autre. Elle vient de réaliser qu’elle a été dupée par Morris Townsend (Montgomery Clift), le soupirant désargenté qui lui faisait la cour depuis des mois, en espérant l’épouser pour récupérer sa dot. Naïve et romantique, elle s’était tenue prête à s’enfuir avec lui, nuitamment et clandestinement, à conquérir le monde et à s’affirmer enfin en tant que femme indépendante, loin de son père, le Dr Austin Sloper (Ralph Richardson), un être acariâtre, apitoyé sur son sort parce qu’inconsolable depuis la mort de sa femme, n’ayant jamais de mots assez durs pour dénigrer sa fille, jugée timide, sans esprit et sans charme, indigne d’évoluer au sein de la bonne bourgeoisie new-yorkaise. Catherine est l’anti-Regina Hubbard Giddens (Bette Davis dans La Vipère (Little Foxes, du même William Wyler, 1941), une prédatrice, froide et calculatrice, embrassant ses semblables pour mieux les étouffer. Rien de tout cela chez l’héritière, qui avait annoncé imprudemment à Morris qu’elle renonçait à son héritage pour le suivre librement. Mais celui-ci ne s’est pas présenté au rendez-vous fixé. Privée de sa dignité et de son honneur, meurtrie jusqu’au plus profond d’elle-même, elle porte déjà le deuil de ses espérances trahies. À l’instar du jour encore incertain à l’extérieur, le vestibule est plongé dans une semi-obscurité qui rend encore plus dramatique l’amertume et la douleur de Catherine.

Dans le photogramme 2, qui est aussi le dernier plan du film, Catherine se retrouve à la même place, mais totalement métamorphosée. La mort de son père a fait d’elle une femme riche, mais toujours célibataire. Vêtue d’une robe blanche dont l’éclat souligne son nouveau statut social, elle est désormais habitée par une détermination et des certitudes sans failles. Son visage n’exprime plus la douceur qui le caractérisait autrefois, mais un aplomb et une rage intérieure triomphants. Quelques instants plus tôt, sa domestique venait de lui annoncer que Morris, de retour de Californie, se trouvait devant l’entrée de la maison pour renouer avec elle. Restant sourde aux coups que l’homme assène de plus en plus frénétiquement contre la porte, Catherine, drapée dans une orgueilleuse solitude, monte à l’étage pour savourer une vengeance qui tient plus de l’affirmation de soi que de la sanction qu’elle inflige à son prétendant. La lumière dégagée par la lampe à pétrole qu’elle porte de la main droite, offre un repère rassurant, d’autant plus que derrière elle, le vestibule est plongé cette fois-ci dans d’épaisses ténèbres. Comme si elle laissait derrière elle un passé de soumission et d’oppression…. Comme une renaissance. 




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