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En
1945, trois vétérans américains fraîchement démobilisés – Homer Parrish (Harold
Russell), un marin de l’US Navy, Fred Derry (Dana Andrews), un capitaine de l’USSAF,
membre d’un équipage de bombardier et Al Stephenson (Fredric March), un sergent
de l’armée de terre – rentrent chez eux, à Boone City, quelque part dans le
Midwest des États-Unis. Dans Les Plus belles années de notre vie (The
Best Years of Our Lives, 1946), aux antipodes des films patriotiques et
héroïques qui ont jalonné la guerre, William Wyler filme avec un humanisme et
un lyrisme douloureux, non pas le retour de trois guerriers auréolés de leur
victoire sur le Japon et l’Allemagne mais des hommes en proie au doute et au
questionnement, appréhendant les changements survenus dans leur pays durant
leur absence. À leur arrivée, ils ne peuvent que constater que la ville a
grandi sans eux et réalisent que l’adaptation à leur nouvelle vie civile, y
compris et surtout vis-à-vis de leurs proches, ne se fera pas sans heurts.
Souffrant de stress post-traumatique lié aux combats aériens qu’il a livrés
dans le ciel européen, Fred Derry cherche à exorciser ses angoisses en
arpentant le cimetière d’aéronefs retirés du service de Boone City (voir les
deux photogrammes). Son errance au milieu de ces carcasses d’avions exprime sa
lassitude, sa désillusion et sa colère de ne pas retrouver une place à la
hauteur de son grade de capitaine et de sa bravoure au combat pour laquelle il
a reçu une distinction. Il y a peu, Fred était encore à bord d’un de ces
avions, en mission au-dessus de l’Allemagne, et se sent désormais comme eux,
les ailes coupées, aussi obsolète que ces amas de métaux, ces vieux équipements
dépassés, voués au démontage et à la dislocation. Alors que Fred déambule dans
cet ossuaire à la recherche de son bombardier, les rangées d’hélices et de moteurs
posés à même le sol (photogramme 1), les avions de chasse aux cockpits
décapités, aux fuselages et aux empennages dérisoirement dressés vers le ciel
(photogrammes 2) offrent un visage de désolation, mais qui paradoxalement ramène
l’ancien aviateur vers un temps où son existence avait un sens en dépit des
cicatrices que la guerre lui a infligées. Cette mémoire meurtrie percute de
plein fouet son incapacité à se réinsérer dans cette société qu’il ne comprend
plus. Dans le propos de William Wyler, l’incroyable modernité du film, tourné
en 1946, tient tout autant dans le refus de mythifier la guerre et la victoire
des États-Unis que dans le rejet de l’idéalisme du rêve américain pourtant en
train de se construire dans l’immédiat après-guerre[1].
Fred Derry incarne le mal-être de ces nombreux démobilisés évoluant dans un
clair-obscur confus et mélancolique très éloigné de la rationalité capitaliste
et de son corollaire, la réussite individuelle. C’est sans aucun doute pour
cela que le président de la sinistre HUAC[2],
John Parnell Thomas, qualifia, en 1947, le film de propagande communiste. Bien
avant Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter, Michael Cimino,
1978), Le Retour (Coming Home, Hal Ashby, 1978) ou encore Né
un 4 juillet (Born on the 4th of July, Oliver Stone, 1989), le
retour difficile des vétérans touche à l’intime pour s'ouvrir à l’universel, quelles que
soient les guerres, quelles que soient les époques.
[1]
Un autre film, C’étaient des
hommes (The Men, Fred Zinnemann, 1950) évoquera le retour difficile
des blessés de guerre.
[2]
The House of Un-American Activities
Committee ou le Comité parlementaire sur les activités antiaméricaines, chargé
d’enquêter dès 1946 sur les communistes réels ou supposés aux États-Unis.
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