jeudi 7 juillet 2022

L'archange de la mort chez James Mangold


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Dans 3h10 pour Yuma (3:10 to Yuma, James Mangold, 2007), Charlie Prince (Ben Foster) est le personnage que l’on adore haïr. Dans cet Ouest sauvage, quelque part entre Bisbee et Contention (Arizona), aussi loin que porte le regard, tout n’est que roches, poussière et sable, canyons vertigineux, buissons d’épineux ou hautes terres boisées. Au milieu de cet espace hostile, plus dangereux que les serpents à sonnette ou les Apaches, Charlie Prince règne en maître, habité autant par une violence toujours prête à surgir que par une absence de toute vision charitable pour ses semblables. Bras droit de Ben Wade (Russell Crowe), un chef de bande pillant les banques et les diligences, il est étroitement associé à la mort et aux cadavres qu’il laisse derrière lui dans un sillage sanglant. Ce névropathe assumé se reconnaît à sa veste en cuir  blanc cassé, à son visage taillé à la serpe, à ses yeux hallucinés et froids et à la rage qu’il déploie pour éliminer, en dégainant avec la vitesse de l’éclair ses deux colts, tous ceux qui ont le malheur de se trouver sur son chemin.  Qu’il se tienne à cheval, au sommet d’une colline, à proximité d’un cimetière (photogramme 1) ou devant une diligence transformée en autodafé (photogramme 2), Charlie Prince est une allégorie de l’enfer, une représentation absolue du mal, un oiseau noir obsédé par une frénésie destructrice et mortifère. Il n’a apparemment pas plus de limites que l’espace n'a de frontières. Sa seule faiblesse – et qui se révélera fatale – est son tropisme amoureux pour Ben Wade – qui le sait et qui en joue - pour lequel il est prêt à tout donner, jusqu’à sa vie. Cet archange de la mort est la figure impitoyable et barbare – et osons le dire, séduisante – de ce Far-West tentant avec difficulté de se civiliser. Du haut du promontoire (photogramme 1), sa silhouette noire se détache ostensiblement de l’horizon, aussi immobile que les croix et les pierres tombales du cimetière qui n’a jamais aussi bien porté le nom de Boot Hill. Charlie Prince n’est pas là pour rendre hommage à un quelconque défunt, enterré ici, généralement de manière prématurée, avec ses bottes donc, mais pour observer en contrebas les faits et gestes de la petite troupe qui vient de capturer son patron, et ourdir le meilleur plan possible pour le sauver des griffes du posse qui se dirige vers la gare de Contention où le train de 3h10 conduira le prisonnier jusqu’au pénitencier de Yuma (photogramme 1). Ce crime de lèse-majesté ne peut être lavé que dans le sang. En attaquant le lendemain ce véhicule hippomobile, généralement conçu pour le transport en commun, mais pour cette fois-ci exceptionnellement réservé à un détenu dangereux, le gang désormais dirigé par Charlie se rend compte que le prévenu en question n’est pas Ben Wade, mais un homme servant de leurre pour les distraire de leur objectif. Écumant de rage, il ordonne que la diligence soit brûlée avec son occupant. Alors que la fournaise envahit tout l’arrière-plan du champ en engloutissant la diligence et les cris du supplicié, le visage de Charlie est mis à nu, pour exprimer à travers ses yeux perçants et ses mâchoires serrées, toute la détermination que le hors-la-loi mettra désormais à réparer cet outrage (photogramme 2). Ce bûcher expiatoire finissant par contaminer toute l’image s’accorde pleinement à la personnalité infernale de l’homme de main, comme si celui-ci se laissait absorber par celui-là. Se dévoile alors à travers ce processus de destruction, toute la passion du dépit amoureux qu’il éprouve pour Ben. En prédateur accompli, Charlie Prince est le digne héritier d’un Dutch Henry Brown (Stephen McNally)[1], d’un Jack Wilson (Jack Palance)[2] ou d’un Liberty Valance (Lee Marvin)[3], trois tueurs qui ont su marquer l’imaginaire du cinéphile. Charlie Prince ou la fascination du mal en mouvement.



[1] Winchester 73 (Anthony Mann, 1950)

[2] Shane (L’Homme des vallées perdues, George Stevens, 1953)

[3] L’Homme qui tua Liberty Valance (The Man who Shot Liberty Valance, John Ford, 1962)




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