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Dans 3h10 pour Yuma (3:10 to Yuma,
James Mangold, 2007), Charlie Prince (Ben Foster) est le personnage que l’on adore
haïr. Dans cet Ouest sauvage, quelque part entre Bisbee et Contention
(Arizona), aussi loin que porte le regard, tout n’est que roches, poussière et
sable, canyons vertigineux, buissons d’épineux ou hautes terres boisées. Au milieu
de cet espace hostile, plus dangereux que les serpents à sonnette ou les
Apaches, Charlie Prince règne en maître, habité autant par une violence
toujours prête à surgir que par une absence de toute vision charitable pour ses
semblables. Bras droit de Ben Wade (Russell Crowe), un chef de bande pillant
les banques et les diligences, il est étroitement associé à la mort et aux
cadavres qu’il laisse derrière lui dans un sillage sanglant. Ce névropathe
assumé se reconnaît à sa veste en cuir blanc cassé, à son visage taillé à la serpe, à
ses yeux hallucinés et froids et à la rage qu’il déploie pour éliminer, en
dégainant avec la vitesse de l’éclair ses deux colts, tous ceux qui ont le
malheur de se trouver sur son chemin. Qu’il
se tienne à cheval, au sommet d’une colline, à proximité d’un cimetière
(photogramme 1) ou devant une diligence transformée en autodafé (photogramme 2),
Charlie Prince est une allégorie de l’enfer, une représentation absolue du mal,
un oiseau noir obsédé par une frénésie destructrice et mortifère. Il n’a apparemment
pas plus de limites que l’espace n'a de frontières. Sa seule faiblesse – et qui
se révélera fatale – est son tropisme amoureux pour Ben Wade – qui le sait et
qui en joue - pour lequel il est prêt à tout donner, jusqu’à sa vie. Cet archange
de la mort est la figure impitoyable et barbare – et osons le dire, séduisante –
de ce Far-West tentant avec difficulté de se civiliser. Du haut du promontoire
(photogramme 1), sa silhouette noire se détache ostensiblement de l’horizon,
aussi immobile que les croix et les pierres tombales du cimetière qui n’a
jamais aussi bien porté le nom de Boot Hill. Charlie Prince n’est pas là
pour rendre hommage à un quelconque défunt, enterré ici, généralement de
manière prématurée, avec ses bottes donc, mais pour observer en contrebas les
faits et gestes de la petite troupe qui vient de capturer son patron, et ourdir
le meilleur plan possible pour le sauver des griffes du posse qui se
dirige vers la gare de Contention où le train de 3h10 conduira le prisonnier jusqu’au
pénitencier de Yuma (photogramme 1). Ce crime de lèse-majesté ne peut être lavé
que dans le sang. En attaquant le lendemain ce véhicule hippomobile,
généralement conçu pour le transport en commun, mais pour cette fois-ci exceptionnellement
réservé à un détenu dangereux, le gang désormais dirigé par Charlie se rend
compte que le prévenu en question n’est pas Ben Wade, mais un homme servant de
leurre pour les distraire de leur objectif. Écumant de rage, il ordonne que la
diligence soit brûlée avec son occupant. Alors que la fournaise envahit tout
l’arrière-plan du champ en engloutissant la diligence et les cris du supplicié,
le visage de Charlie est mis à nu, pour exprimer à travers ses yeux perçants et
ses mâchoires serrées, toute la détermination que le hors-la-loi mettra
désormais à réparer cet outrage (photogramme 2). Ce bûcher expiatoire finissant
par contaminer toute l’image s’accorde pleinement à la personnalité infernale de
l’homme de main, comme si celui-ci se laissait absorber par celui-là. Se
dévoile alors à travers ce processus de destruction, toute la passion du dépit
amoureux qu’il éprouve pour Ben. En prédateur accompli, Charlie Prince est le digne
héritier d’un Dutch Henry Brown (Stephen McNally)[1],
d’un Jack Wilson (Jack Palance)[2]
ou d’un Liberty Valance (Lee Marvin)[3],
trois tueurs qui ont su marquer l’imaginaire du cinéphile. Charlie Prince ou la
fascination du mal en mouvement.
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