Dans Contagion (2011), un virus inconnu et mortel,
apparu pour la première fois à Hong-Kong, transmis par les voies respiratoires et/ou
par des objets contaminés, se propage comme une traînée de poudre à travers la
planète, causant très rapidement des millions de morts. S’inspirant de
l’épidémie de SRAS et de la grippe H1N1, la ressemblance avec la pandémie du Covid
19, apparue en novembre 2019, ne fait que confirmer le propos
extraordinairement prémonitoire de Steven Soderbergh et de son scénariste Scott
Z. Burns. Dans ce climat hautement anxiogène, le réalisateur insiste parallèlement
sur une autre arborescence épidémique, un autre type de virus, une autre contagion
pour laquelle un journaliste cynique, manipulateur et d’une arrogance absolue, Alan
Krumwiede (Jude Law), est le patient zéro. Celui-ci exploite la peur de ses
concitoyens en colportant sur son blogue Truth Serum Now, de fausses
rumeurs complotistes : mensonges des gouvernements, virus génétiquement
modifié ou encore simulation de mort quasi-subite pour certains
pseudo-infectés. « Bloguer n’est pas du journalisme, ce sont des graffitis
avec ponctuations » lui rétorque le docteur Sussman (Elliott Gould) lorsque
le premier lui demande des renseignements sur cette pandémie virale. Autoproclamé
tout à la fois épidémiologiste, virologue et infectiologue, refusant de sourcer
ses affirmations qui apparaissent comme autant d’oukases péremptoires,
convaincu d’avoir un don d’ubiquité confinant au sublime, il tire profit de la
crise à des fins personnelles et financières en utilisant la défiance des
populations vis-à-vis des médias et des élites. Hostile par définition aux
vaccins, aux groupes pharmaceutiques et aux grands médias ou à tout ce qui peut
représenter une autorité, qu’elle soit politique ou médicale, il recommande un
traitement homéopathique à base de forsythia, qu’il teste sur lui-même en
affirmant, faussement, qu’il a été infecté par le virus (voir le photogramme). Devant son ordinateur et dans la
quasi-obscurité de la chambre qu’il occupe, cet alter ego d’Axel Jones[1]
se filme en mettant quelques gouttes de son élixir dans un verre avant de le
boire et de mettre en ligne sa vidéo. La mise au point faite sur son visage,
éclairé par la luminosité de son écran, redouble son désir d’être, coûte que
coûte, sous les projecteurs de l’actualité. Ne se retrouve-t-il pas à la
télévision dans une émission de grande écoute, la morgue aux lèvres, face au
responsable du CDC[2],
le docteur Ellis Cheever (Laurence Fishburne) ? Soderbergh le filme
littéralement surgi des flancs ténébreux de la pièce transformée en laboratoire
de circonstance à partir duquel il promulgue ses apophtegmes. Manifestement
dévoré par une hubris qui tient autant d’une aura messianique que d’une volonté
démiurgique, ce blogueur sans scrupules et déterminé à se faire un nom, réfute,
en toute irresponsabilité, les expertises scientifiques trop éloignées des
contenus émotionnels qu’il met en ligne. En cherchant à se constituer une clientèle
lucrative – 12 millions d’internautes en mal de gourou, crédules, enamourés et donc
dévoués - ce théoricien du complot ne cherche pas à exorciser la peur légitime
que peut éprouver l’humanité face à un ennemi invisible, mais à provoquer le
chaos et la confusion. Avec ce zèle du croisé qui le caractérise et cette
suffisance propre aux manipulateurs dont les intérêts financiers sont bien
compris puisqu’il passe un accord avec un fonds spéculatif pour financer la
commercialisation de son produit frauduleux, Alan Krumwiede est le symptôme d’un
environnement informationnel si toxique qu’il en finit par pervertir les
fondements même de nos démocraties. Dans cette manipulation de l’information et
cette propagation virale du mensonge sur les réseaux sociaux, la disparition de
la vérité, des faits objectifs et de l’argumentation scientifique laisse à
penser que nos sociétés sont à une vidéo virale de l’anarchie pure.
[1]
Animateur de radio et propriétaire sur
You Tube d’une chaîne, InfoWars, Alex Jones est un adepte d’un complotisme tous
azimuts au contenu violent et haineux. Depuis 2018, il a été banni de Facebook,
Apple, YouTube et Google.
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