vendredi 17 juin 2022

Le virus de l'arrogance chez Steven Soderbergh

 

Dans Contagion (2011), un virus inconnu et mortel, apparu pour la première fois à Hong-Kong, transmis par les voies respiratoires et/ou par des objets contaminés, se propage comme une traînée de poudre à travers la planète, causant très rapidement des millions de morts. S’inspirant de l’épidémie de SRAS et de la grippe H1N1, la ressemblance avec la pandémie du Covid 19, apparue en novembre 2019, ne fait que confirmer le propos extraordinairement prémonitoire de Steven Soderbergh et de son scénariste Scott Z. Burns. Dans ce climat hautement anxiogène, le réalisateur insiste parallèlement sur une autre arborescence épidémique, un autre type de virus, une autre contagion pour laquelle un journaliste cynique, manipulateur et d’une arrogance absolue, Alan Krumwiede (Jude Law), est le patient zéro. Celui-ci exploite la peur de ses concitoyens en colportant sur son blogue Truth Serum Now, de fausses rumeurs complotistes : mensonges des gouvernements, virus génétiquement modifié ou encore simulation de mort quasi-subite pour certains pseudo-infectés. « Bloguer n’est pas du journalisme, ce sont des graffitis avec ponctuations » lui rétorque le docteur Sussman (Elliott Gould) lorsque le premier lui demande des renseignements sur cette pandémie virale. Autoproclamé tout à la fois épidémiologiste, virologue et infectiologue, refusant de sourcer ses affirmations qui apparaissent comme autant d’oukases péremptoires, convaincu d’avoir un don d’ubiquité confinant au sublime, il tire profit de la crise à des fins personnelles et financières en utilisant la défiance des populations vis-à-vis des médias et des élites. Hostile par définition aux vaccins, aux groupes pharmaceutiques et aux grands médias ou à tout ce qui peut représenter une autorité, qu’elle soit politique ou médicale, il recommande un traitement homéopathique à base de forsythia, qu’il teste sur lui-même en affirmant, faussement, qu’il a été infecté par le virus (voir le photogramme).  Devant son ordinateur et dans la quasi-obscurité de la chambre qu’il occupe, cet alter ego d’Axel Jones[1] se filme en mettant quelques gouttes de son élixir dans un verre avant de le boire et de mettre en ligne sa vidéo. La mise au point faite sur son visage, éclairé par la luminosité de son écran, redouble son désir d’être, coûte que coûte, sous les projecteurs de l’actualité. Ne se retrouve-t-il pas à la télévision dans une émission de grande écoute, la morgue aux lèvres, face au responsable du CDC[2], le docteur Ellis Cheever (Laurence Fishburne) ? Soderbergh le filme littéralement surgi des flancs ténébreux de la pièce transformée en laboratoire de circonstance à partir duquel il promulgue ses apophtegmes. Manifestement dévoré par une hubris qui tient autant d’une aura messianique que d’une volonté démiurgique, ce blogueur sans scrupules et déterminé à se faire un nom, réfute, en toute irresponsabilité, les expertises scientifiques trop éloignées des contenus émotionnels qu’il met en ligne. En cherchant à se constituer une clientèle lucrative – 12 millions d’internautes en mal de gourou, crédules, enamourés et donc dévoués - ce théoricien du complot ne cherche pas à exorciser la peur légitime que peut éprouver l’humanité face à un ennemi invisible, mais à provoquer le chaos et la confusion. Avec ce zèle du croisé qui le caractérise et cette suffisance propre aux manipulateurs dont les intérêts financiers sont bien compris puisqu’il passe un accord avec un fonds spéculatif pour financer la commercialisation de son produit frauduleux, Alan Krumwiede est le symptôme d’un environnement informationnel si toxique qu’il en finit par pervertir les fondements même de nos démocraties. Dans cette manipulation de l’information et cette propagation virale du mensonge sur les réseaux sociaux, la disparition de la vérité, des faits objectifs et de l’argumentation scientifique laisse à penser que nos sociétés sont à une vidéo virale de l’anarchie pure.



[1] Animateur de radio et propriétaire sur You Tube d’une chaîne, InfoWars, Alex Jones est un adepte d’un complotisme tous azimuts au contenu violent et haineux. Depuis 2018, il a été banni de Facebook, Apple, YouTube et Google.

[2] Centers for Disease Control and Prevention, l’agence de santé publique des États-Unis.




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