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Dans la semi-obscurité du saloon d'une bourgade
perdue au fin fond du Wyoming, deux hommes s'affrontent. D'un côté, Shane (Alan
Ladd, photogramme 1) est un homme venu de nulle part, un homme au lourd passé
de pistolero, un passé resté hors-champ mais qu'il souhaitait laisser derrière
lui pour vivre paisiblement aux côtés d'une famille de fermiers, les Starrett, mais
qui n'a d'autre choix, à ce moment précis, que de répondre à la violence par la
violence. Soucieux de protéger les petits exploitants qui subissent les
agressions des frères Ryker, de riches éleveurs cherchant à accaparer toutes
les terres de la région, Shane, accoudé nonchalamment au comptoir quelques
secondes plus tôt, se tient maintenant bien droit, les bras ballants le long du
corps, le regard rivé sur son adversaire. Sa cartouchière finement ciselée de
conchas et l'éclat de la crosse de son colt rehaussent la couleur ocre de sa
veste et de son pantalon en cuir de daim. Il sait qu'il doit aller jusqu'au
bout de sa mission, qu'il doit d'abord et à nouveau affronter les démons de son
passé pour défier celui qui lui rappelle ce qu'il a probablement été autrefois.
Face à lui justement, Jack Wilson (Jack Palance, photogramme 2) est le tueur engagé par les
frères Ryker pour éliminer tous les obstacles et tous les irritants se trouvant
sur la route du potentat local. Il est l'incarnation de la mort
en marche. Sûr de lui et bien campé sur ses deux jambes, ce spadassin a les
yeux brillants de la fièvre du crime avec un sourire sardonique aux lèvres
fendant un visage en lame de couteau. Ce spadassin à l'allure de chacal toise
et jauge Shane. Sa main droite gantée de noir se tient à proximité de son colt
droit, prête à entrer en action. Toute son attitude relève d'un rituel
mortifère: démarche lente et reptilienne, tintement régulier de ses éperons,
gant enfilé avec un soin maniaque, phrasé économe de mots. Il est l'antithèse
parfaite de Shane, son exact contrepoint dénué de scrupules, sinistre et avili
par une atrophie morale. Pourtant, en dépit de leur opposition, quelque chose
d'indéfinissable s'est instauré entre ces deux hommes qui ne sont tout à fait
eux-mêmes qu'avec un colt à la main, une arme qui s'avère être le prolongement
naturel de leur corps, la raison même de leur existence. Les deux corps sont
tendus à se rompre et semblent frémir d'impatience, attendant le meilleur
moment pour se détendre et mettre fin au choc tant attendu. Pour Shane et Jack
Wilson, le monde vient de se réduire à cette lutte qui doit sceller le sort des
fermiers de la vallée, ou les libérer de la menace qui s'exerce sur eux. Le
saloon s'est progressivement vidé des rares clients qui s'y trouvaient, et une
lampe à pétrole accrochée au plafond diffuse une lumière blafarde dans cet
espace sur lequel le silence s'est soudainement abattu. Dans L'Homme des
vallées perdues (Shane, George Stevens, 1953), Shane est celui qui a
recours à la violence pour civiliser et rendre la Frontière plus sûre, mais qui
ne peut y vivre en raison d'une incapacité à se défaire d'un passé de violence
et de mort. Le personnage de Will Munny (Clint Eastwood) dans Impitoyable
(Unforgiven, Clint Eastwood, 1992) n'est pas loin de cette
représentation d'un héros qui a tué et qui est sans cesse amené à tuer encore.
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