vendredi 23 juillet 2021

Le duel chez George Stevens

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Dans la semi-obscurité du saloon d'une bourgade perdue au fin fond du Wyoming, deux hommes s'affrontent. D'un côté, Shane (Alan Ladd, photogramme 1) est un homme venu de nulle part, un homme au lourd passé de pistolero, un passé resté hors-champ mais qu'il souhaitait laisser derrière lui pour vivre paisiblement aux côtés d'une famille de fermiers, les Starrett, mais qui n'a d'autre choix, à ce moment précis, que de répondre à la violence par la violence. Soucieux de protéger les petits exploitants qui subissent les agressions des frères Ryker, de riches éleveurs cherchant à accaparer toutes les terres de la région, Shane, accoudé nonchalamment au comptoir quelques secondes plus tôt, se tient maintenant bien droit, les bras ballants le long du corps, le regard rivé sur son adversaire. Sa cartouchière finement ciselée de conchas et l'éclat de la crosse de son colt rehaussent la couleur ocre de sa veste et de son pantalon en cuir de daim. Il sait qu'il doit aller jusqu'au bout de sa mission, qu'il doit d'abord et à nouveau affronter les démons de son passé pour défier celui qui lui rappelle ce qu'il a probablement été autrefois. Face à lui justement, Jack Wilson (Jack Palance, photogramme 2) est le tueur engagé par les frères Ryker pour éliminer tous les obstacles et tous les irritants se trouvant sur la route du potentat local. Il est l'incarnation de la mort en marche. Sûr de lui et bien campé sur ses deux jambes, ce spadassin a les yeux brillants de la fièvre du crime avec un sourire sardonique aux lèvres fendant un visage en lame de couteau. Ce spadassin à l'allure de chacal toise et jauge Shane. Sa main droite gantée de noir se tient à proximité de son colt droit, prête à entrer en action. Toute son attitude relève d'un rituel mortifère: démarche lente et reptilienne, tintement régulier de ses éperons, gant enfilé avec un soin maniaque, phrasé économe de mots. Il est l'antithèse parfaite de Shane, son exact contrepoint dénué de scrupules, sinistre et avili par une atrophie morale. Pourtant, en dépit de leur opposition, quelque chose d'indéfinissable s'est instauré entre ces deux hommes qui ne sont tout à fait eux-mêmes qu'avec un colt à la main, une arme qui s'avère être le prolongement naturel de leur corps, la raison même de leur existence. Les deux corps sont tendus à se rompre et semblent frémir d'impatience, attendant le meilleur moment pour se détendre et mettre fin au choc tant attendu. Pour Shane et Jack Wilson, le monde vient de se réduire à cette lutte qui doit sceller le sort des fermiers de la vallée, ou les libérer de la menace qui s'exerce sur eux. Le saloon s'est progressivement vidé des rares clients qui s'y trouvaient, et une lampe à pétrole accrochée au plafond diffuse une lumière blafarde dans cet espace sur lequel le silence s'est soudainement abattu. Dans L'Homme des vallées perdues (Shane, George Stevens, 1953), Shane est celui qui a recours à la violence pour civiliser et rendre la Frontière plus sûre, mais qui ne peut y vivre en raison d'une incapacité à se défaire d'un passé de violence et de mort. Le personnage de Will Munny (Clint Eastwood) dans Impitoyable (Unforgiven, Clint Eastwood, 1992) n'est pas loin de cette représentation d'un héros qui a tué et qui est sans cesse amené à tuer encore.







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