Avec le Bossu, personnage inquiétant et haut en
couleurs, nous sommes très loin de l'anachorète jovial et détendu, mais plutôt du
côté du cénobite, vindicatif, fiévreux et manifestement névrosé. Lorsqu'il se
met, à deux reprises, dans une colère noire, comme ici face au colonel Mortimer
(Lee Van Cleef) (photogrammes 1 et 2), la commissure gauche de ses lèvres est
agitée par des spasmes par définition incontrôlés. Est-ce le symptôme d'une
maladie rare comme le syndrome de Gilles de la Tourette[1]
ou un tic, voire un toc ? Nous pouvons d'ores et déjà éliminer Gilles puisque
les soubresauts labiaux du Bossu ne sont pas sonores, mais uniquement visuels. Idem
pour le TOC, ce trouble obsessionnel compulsif relié à des idées fixes et à des
habitudes qu'on se sent obligé d'accomplir, quoique saigner son prochain avec
une allégresse certaine peut s'avérer être pour le Bossu une fâcheuse marotte. Reste
donc le tic. Ce mouvement compulsif irrépressible, sied à ravir à ce bandit
bossu, hyperémotif et fébrile. Lorsqu'il apparaît pour la première fois, le
spectateur sait immédiatement à qui il a affaire. D'abord, parce que cet
individu est interprété par Klaus Kinski, bien connu pour ses rôles de
névropathe au regard halluciné (prenons au hasard Aguirre, la colère de
Dieu ou Cobra Verde, deux films réalisés respectivement en
1972 et en 1987 par Werner Herzog) et ensuite parce qu'il a tous les attributs
physiques et mentaux du hors-la-loi
possédé par une altération de la personnalité patente: un regard intense, des
yeux souvent exorbités, des gestes impétueux, une mine globalement patibulaire
avec des cheveux en bataille, un teint hâlé prouvant qu'il passe plus de temps
sur la piste, à cheval sous le soleil brûlant que tranquillement assis sous une
véranda, et ce tic donc, signe extérieur d'une tension intérieure brutale et
immédiate. À voir un tel énergumène constamment au bord de l'explosion, nous
serions tentés de dire qu'il devrait se faire soigner. Mais qui peut décemment
avoir une telle empathie ? El Indio (Gian Maria Volonte) le chef de la bande à
laquelle appartient le Bossu ? Peu probable puisqu'il est encore plus
névropathe et plus violent que lui. Alors le Manchot (Clint Eastwood), un autre
membre de la bande ? Rien n'est moins sûr parce que ce dernier est trop
autocentré sur ses actions et trop cynique pour se préoccuper du malheur
d'autrui. Il y a donc une certaine fatalité à voir le Bossu se faire occire par
le colonel Mortimer qui ne s'embarrasse pas de circonvolutions existentielles
pour dégainer à la vitesse de l'éclair et faire cesser ce tic exaspérant. Dans Et
pour quelques dollars de plus (Per qualche
dollaro in piu, Sergio Leone, 1965), Klaus Kinski dévore avec
gourmandise les quelques minutes qu'il a à l'écran et nous pouvons regretter
que Sergio Leone l'ait fait disparaître très tôt ou qu'il ne lui ait donné que ces
deux séquences aussi courtes qu'électrisantes. Quelques années plus tard, il jouera un autre tueur combinant l'hystérie et la démence dans deux
autres westerns qui feront date : El Chuncho de Damiano Damiani (1967)
et Le Grand Silence de Sergio Corbucci (1968). Pour notre plus grand
plaisir.
[1] Affection
qui doit son nom au neurologue qui l'a diagnostiquée et caractérisée par des
tics moteurs et au moins un tic sonore.
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