mercredi 14 juillet 2021

Le tic facial chez Sergio Leone



Avec le Bossu, personnage inquiétant et haut en couleurs, nous sommes très loin de l'anachorète jovial et détendu, mais plutôt du côté du cénobite, vindicatif, fiévreux et manifestement névrosé. Lorsqu'il se met, à deux reprises, dans une colère noire, comme ici face au colonel Mortimer (Lee Van Cleef) (photogrammes 1 et 2), la commissure gauche de ses lèvres est agitée par des spasmes par définition incontrôlés. Est-ce le symptôme d'une maladie rare comme le syndrome de Gilles de la Tourette[1] ou un tic, voire un toc ? Nous pouvons d'ores et déjà éliminer Gilles puisque les soubresauts labiaux du Bossu ne sont pas sonores, mais uniquement visuels. Idem pour le TOC, ce trouble obsessionnel compulsif relié à des idées fixes et à des habitudes qu'on se sent obligé d'accomplir, quoique saigner son prochain avec une allégresse certaine peut s'avérer être pour le Bossu une fâcheuse marotte. Reste donc le tic. Ce mouvement compulsif irrépressible, sied à ravir à ce bandit bossu, hyperémotif et fébrile. Lorsqu'il apparaît pour la première fois, le spectateur sait immédiatement à qui il a affaire. D'abord, parce que cet individu est interprété par Klaus Kinski, bien connu pour ses rôles de névropathe au regard halluciné (prenons au hasard Aguirre, la colère de Dieu ou Cobra Verde, deux films réalisés respectivement en 1972 et en 1987 par Werner Herzog) et ensuite parce qu'il a tous les attributs physiques et mentaux du  hors-la-loi possédé par une altération de la personnalité patente: un regard intense, des yeux souvent exorbités, des gestes impétueux, une mine globalement patibulaire avec des cheveux en bataille, un teint hâlé prouvant qu'il passe plus de temps sur la piste, à cheval sous le soleil brûlant que tranquillement assis sous une véranda, et ce tic donc, signe extérieur d'une tension intérieure brutale et immédiate. À voir un tel énergumène constamment au bord de l'explosion, nous serions tentés de dire qu'il devrait se faire soigner. Mais qui peut décemment avoir une telle empathie ? El Indio (Gian Maria Volonte) le chef de la bande à laquelle appartient le Bossu ? Peu probable puisqu'il est encore plus névropathe et plus violent que lui. Alors le Manchot (Clint Eastwood), un autre membre de la bande ? Rien n'est moins sûr parce que ce dernier est trop autocentré sur ses actions et trop cynique pour se préoccuper du malheur d'autrui. Il y a donc une certaine fatalité à voir le Bossu se faire occire par le colonel Mortimer qui ne s'embarrasse pas de circonvolutions existentielles pour dégainer à la vitesse de l'éclair et faire cesser ce tic exaspérant. Dans Et pour quelques dollars de plus (Per qualche dollaro in piu, Sergio Leone, 1965), Klaus Kinski dévore avec gourmandise les quelques minutes qu'il a à l'écran et nous pouvons regretter que Sergio Leone l'ait fait disparaître très tôt ou qu'il ne lui ait donné que ces deux séquences aussi courtes qu'électrisantes. Quelques années plus tard, il jouera un autre tueur combinant l'hystérie et la démence dans deux autres westerns qui feront date : El Chuncho de Damiano Damiani (1967) et Le Grand Silence de Sergio Corbucci (1968). Pour notre plus grand plaisir.

 


[1] Affection qui doit son nom au neurologue qui l'a diagnostiquée et caractérisée par des tics moteurs et au moins un tic sonore.




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