lundi 12 juillet 2021

La confrontation chez Peter Yates



Trop souvent, le film Bullitt (Peter Yates, 1968) a été vampirisé, voire phagocité, par la fameuse course-poursuite automobile - certes remarquablement mise en scène - entre le lieutenant Frank Bullitt et deux tueurs, à travers les rues de San Francisco.  Elle a ainsi escamoté une autre confrontation, plus riche et plus passionnante à suivre et qui oppose ledit Frank Bullitt (Steve McQueen), un policier intègre et volontiers taiseux, à Walter Chalmers (Robert Vaughn), un sénateur dont l'ambition se mesure au nombre de personnes qu'il est prêt à écraser de sa morgue et de son pouvoir. Frank est donc ce policier (photogrammes 1 et 2 à gauche) chargé de surveiller un témoin-clé à la veille d'un procès destiné à mettre en accusation un chef de la mafia et qui doit, accessoirement, servir de tremplin au politicien pour accroître sa notoriété. Sauf que rien ne se passe comme prévu. Le témoin est blessé à mort par deux tueurs à gages et se retrouve à l'hôpital sous la surveillance de Frank, que Chalmers ne tarde pas à rejoindre (photogrammes 1 et 2 à droite). Tout oppose ces deux hommes. Frank est à mi-chemin entre Popeye Doyle[1] et Harry Callahan[2], deux flics urbains qui vont, quelques années plus tard, rompre définitivement les amarres pour devenir des réfractaires à la bienséance et des spécialistes de la transgression. Il n'a ni la violence éruptive, ni la brutalité frénétique assumée du premier, ni le cynisme, ni les méthodes expéditives du second, mais il les précède dans une marginalité incontestable dans ses rapports avec toutes les institutions et particulièrement avec celle de la police. Avare de mots mais pas de convictions ni d'éthique, une expression lasse portée en bandoulière, Bullitt est sans illusion sur la condition humaine. Aussi instinctif que cérébral, recourant ultimement à la violence, il refuse les conventions sociales et parle au sénateur, veste tombée, col de chemise ouvert, un verre et un sandwich dans les mains. Son flegme nappé d'irrévérence irrite manifestement Walter Chalmers, plus habitué à obtenir tout ce qu'il demande, mais qui ne trouve aucune prise aux explications/sommations qu'il exige d'une voix néanmoins suave. Sanglé dans son costume-cravate et sa chemise blanche sous le Loden brun de bonne coupe, maîtrisant sa coiffure à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, Chalmers porte beau et sait ce que l'apparence peut apporter aux politiciens plus aptes aux compromissions qu'à l'intégrité et à  l'honnêteté intellectuelle. Aux antipodes d'un Jefferson Smith[3] ou d'un Frank Skeffington[4], deux hommes politiques antédiluviens à la moralité chevillée au corps, Chalmers incarne au contraire, avec sa diction fielleuse et ses sous-entendus perfides, un individu moralement odieux et socialement menaçant contre quiconque se met en travers de sa route. Mais en réalité, ce que Chalmers ne supporte pas, c'est le regard lucide et désenchanté que porte Frank sur le monde en général et sur son arrivisme en particulier. Un regard zébré de solitude, scarifié par la violence urbaine.



[1] Gene Hackman dans French Connection (William Friedkin, 1971)

[2] Clint Eastwood dans L'Inspecteur Harry (Dirty Harry, Donald Siegel, 1971)

[3] James Stewart dans Monsieur Smith au Sénat (Mr.Smith goes to Washington, Frank Capra, 1939)          

[4] Spencer Tracy dans La Dernière fanfare (The Last Hurrah, John Ford, 1958)




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