Dans Une
place au soleil (A Place in the Sun,
George Stevens, 1951), George Eastman (Montgomery Clift) cherche par tous les
moyens à s'extraire de son milieu modeste et besogneux. Obtenir un emploi chez
son richissime oncle Charles Eastman (Herbert Heyes) lui semble être le
meilleur moyen pour donner au rêve américain une réalité sonnante et
trébuchante. Après une première rencontre avec le magnat industriel, soldée par
une place au bas de l'échelle sociale, George, ayant appris qu'une réception
mondaine se tenait dans la luxueuse maison familiale, se présente devant la
grille d'entrée enluminée par un gigantesque E. Cette lettre patronymique
manifestement l'intimide, l'interpelle en matérialisant un obstacle pour le
moment infranchissable en dépit de son lignage qui – croit-il – doit lui
permettre de s'intégrer dans ce milieu à priori inaccessible. Le soin qu'il apporte à sa tenue, son
costume, sa cravate et sa chemise blanche ne suffisent pas pour l'instant à
servir de sésame pour entrer dans cette terra
incognita, ce lieu aussi redouté que convoité. La métaphore obsessionnelle
du film est celle de l'ascension – et donc inévitablement aussi celle de la
chute -, ascension nourrie d'espérance
et d'exaltation mais aussi d'aliénation par rapport à la réussite matérielle à
tout prix. Sorti de l'ombre et figé dans un halo de lumière, George est un
aveugle qui court après le mirage que représente cette lettre E, antithèse de
sa classe sociale qu'il fuit de toutes ses forces tout comme le déterminisme
qui l'accompagne trop souvent. Être reconnu, admiré, pouvoir se mouvoir dans la
haute société, gagner les faveurs et d'abord les plus belles, celles d'Angela
Vickers (Elizabeth Taylor), une abonnée des réunions mondaines, tout cela meut
George qui veut incarner le self made man
apte à gravir tous les échelons de la société. Filmer en 1951 un tel personnage
correspond parfaitement à l'humeur du moment. Rendre les classes sociales
perméables procédait du mythe de l'American
dream qui n'a jamais été aussi fort aux États-Unis que dans l'immédiat
après-guerre, un moment où la croissance économique et l'enrichissement général
de la société semblaient dire au monde que le modèle américain était le
meilleur. Pourtant l'utilisation magistrale du clair-obscur - la photographie de William C. Mellor a été justement
récompensée par un Oscar en 1952 – complexifie ce tableau idyllique. Et, en ce
sens, le visage et les traits de Montgomery Clift se prêtent admirablement à
traduire l'apparence du jeune premier, séducteur et hyper sensible, mais
contrariée par une âme d'écorché vif, névrosée et autodestructrice. Son front
plissé, ses yeux mélancoliques et perdus, ses lèvres boudeuses forment un
fascinant tableau, tout en contradictions et en tourments intimes. Cette
gémellité et la détresse contenue qui s'en dégage font de George, ici plus
contemplatif qu'actif, un personnage à la croisée des chemins, un arriviste
incertain, se demandant par quels moyens – y compris les pires – il pourrait
accéder à ce sanctuaire fantasmé.
jeudi 18 février 2021
Les classes sociales chez George Stevens
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