De sang-froid, (In
Cold Blood, Richard Brooks, 1967) est un film d'une rare puissance. Adapté
de l'œuvre éponyme de Truman Capote (1966), lui-même s'inspirant d'un fait
divers tragique survenu en 1959, il décrit deux itinéraires convergents : celui
sanglant de deux meurtriers qui après avoir massacré une famille entière dans
une petite ville du Kansas, s'enfuient au Mexique, reviennent aux États-Unis,
se font arrêter et condamner à mort et, parallèlement, celui de la police qui
enquête et qui remonte progressivement la piste qui mène aux responsables du
quadruple meurtre. Le photogramme cadre Perry Smith (Robert Blake), l'un des
deux assassins, à la veille de son exécution. Alors que la pluie crépite à
l'extérieur de sa cellule, il livre, face au pasteur venu le confesser, un
soliloque empreint de tragédie intime, de regrets liés à son enfance et à son
père qu'il déteste et qu'il aime tout à la fois. Ce père qui avait avec lui des
rêves d'ailleurs, d'Alaska, d'hôtel pour touristes construit de leurs propres
mains, mais vers lequel aucun visiteur ne se dirigea ; ce père qui hurlait, qui
pleurait et qui a fini par le chasser après l'avoir menacé avec un fusil,
rongé par l'échec et la solitude. La
lumière extérieure projette le reflet de la pluie qui coule le long de la vitre
pour former des larmes ruisselant le long de sa joue gauche donnant
l'impression que Smith pleure. Cet effet visuel saisissant est, d'après le
directeur photo Conrad Hall, purement accidentel puisque non prévu dans le
scénario. Ce n'est que pendant les répétitions de la séquence qu'il le signala
à Richard Brooks. Celui-ci décida de l'intégrer dans la version finale. Perry Smith
est un de ces laissé-pour-compte de l'American
way of life, un homme dont les rêves se sont fracassés devant le réel,
submergé de pauvreté, de violence, d'échecs et d'éthique balbutiante. Mais sans
misérabilisme et surtout sans chercher à excuser les actes atroces de Smith, le
réalisateur fait le choix – par conviction personnelle mais aussi en respectant
le point de vue de Truman Capote, profondément marqué par la proximité qu'il a
eu avec le vrai Perry Smith - de lui rendre son humanité et d'essayer de
comprendre le contexte social et psychologique qui peut amener un homme à
commettre le pire et l'irréparable. Richard Brooks se livre par là-même à un
violent réquisitoire contre la peine de mort, cette abjecte vengeance illégitime
d'une pensée dévoyée et d'une institution judiciaire qui considère encore et
toujours que la loi du talion peut, de
sang-froid, « apporter plus de paix
et d'ordre dans la cité [1]
» en refusant de voir qu'elle reproduit et de manière préméditée, ce pour quoi
elle a condamné deux hommes. À quelques
minutes de son exécution, alors que son complice, Dick Hickock (Scott Wilson), vient
déjà d'être pendu, Perry Smith livre ses dernières réflexions amères et
désenchantées avant de basculer dans le vide et l'éternité.
[1]
Réflexions
sur la guillotine, dans Réflexions sur la peine capitale
d'Albert Camus et Albert Koestler, Paris, Gallimard 2002, p.143
Aucun commentaire:
Publier un commentaire