vendredi 19 février 2021

Les larmes chez Richard Brooks

 

De sang-froid, (In Cold Blood, Richard Brooks, 1967) est un film d'une rare puissance. Adapté de l'œuvre éponyme de Truman Capote (1966), lui-même s'inspirant d'un fait divers tragique survenu en 1959, il décrit deux itinéraires convergents : celui sanglant de deux meurtriers qui après avoir massacré une famille entière dans une petite ville du Kansas, s'enfuient au Mexique, reviennent aux États-Unis, se font arrêter et condamner à mort et, parallèlement, celui de la police qui enquête et qui remonte progressivement la piste qui mène aux responsables du quadruple meurtre. Le photogramme cadre Perry Smith (Robert Blake), l'un des deux assassins, à la veille de son exécution. Alors que la pluie crépite à l'extérieur de sa cellule, il livre, face au pasteur venu le confesser, un soliloque empreint de tragédie intime, de regrets liés à son enfance et à son père qu'il déteste et qu'il aime tout à la fois. Ce père qui avait avec lui des rêves d'ailleurs, d'Alaska, d'hôtel pour touristes construit de leurs propres mains, mais vers lequel aucun visiteur ne se dirigea ; ce père qui hurlait, qui pleurait et qui a fini par le chasser après l'avoir menacé avec un fusil, rongé par l'échec et la solitude.  La lumière extérieure projette le reflet de la pluie qui coule le long de la vitre pour former des larmes ruisselant le long de sa joue gauche donnant l'impression que Smith pleure. Cet effet visuel saisissant est, d'après le directeur photo Conrad Hall, purement accidentel puisque non prévu dans le scénario. Ce n'est que pendant les répétitions de la séquence qu'il le signala à Richard Brooks. Celui-ci décida de l'intégrer dans la version finale. Perry Smith est un de ces laissé-pour-compte de l'American way of life, un homme dont les rêves se sont fracassés devant le réel, submergé de pauvreté, de violence, d'échecs et d'éthique balbutiante. Mais sans misérabilisme et surtout sans chercher à excuser les actes atroces de Smith, le réalisateur fait le choix – par conviction personnelle mais aussi en respectant le point de vue de Truman Capote, profondément marqué par la proximité qu'il a eu avec le vrai Perry Smith - de lui rendre son humanité et d'essayer de comprendre le contexte social et psychologique qui peut amener un homme à commettre le pire et l'irréparable. Richard Brooks se livre par là-même à un violent réquisitoire contre la peine de mort, cette abjecte vengeance illégitime d'une pensée dévoyée et d'une institution judiciaire qui considère encore et toujours que la loi du talion peut, de sang-froid, « apporter plus de paix et d'ordre dans la cité [1] » en refusant de voir qu'elle reproduit et de manière préméditée, ce pour quoi elle a condamné deux hommes.  À quelques minutes de son exécution, alors que son complice, Dick Hickock (Scott Wilson), vient déjà d'être pendu, Perry Smith livre ses dernières réflexions amères et désenchantées avant de basculer dans le vide et l'éternité.  



[1] Réflexions sur la guillotine, dans Réflexions sur la peine capitale d'Albert Camus et Albert Koestler, Paris, Gallimard 2002, p.143

 


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