vendredi 20 septembre 2019

La figure du deuil chez Sean Penn



Sean Penn est un cinéaste trop rare. Ses trois premiers films, de Indian Runner (1991) à The Pledge (2001), en passant par Crossing Guard (1995), répètent comme une longue plainte douloureuse, des déchirures familiales qui n'en finissent pas de hanter celles et ceux qui tentent malgré tout de survivre. Dans Crossing Guard, Mary (Anjelica Huston) a perdu, il y a six ans sa fille Emily, renversée par un chauffard ivre, John Booth (David Morse). Revêtue d'un manteau noir au milieu d'un océan de verdure que tentent d'égayer, de manière discontinue, cinq bouquets de fleurs, Mary n'est plus, le sol s'étant dérobé sous ses pieds. Assise sur le gazon du cimetière, surplombant la plaque funéraire et le bouquet qui l'ornemente, elle s'abandonne à ses pensées en fermant les yeux, fissurée de l'intérieur, comme terrassée par sa blessure, Vers qui ou vers quoi, son esprit erre-t-il à cet instant ? Vers Emily ? Sans l'ombre d'un doute, mais aussi vers sa vie passée, vers son ex-mari Freddy (Jack Nicholson) qui n'en finit plus de s'autodétruire, ou encore vers cet horizon lointain qui pourra peut-être un jour lui permettre de se relever. Sean Penn multiplie les signes d'une proximité avec l'affliction et la détresse en filmant Mary seule dans le cadre, les jambes repliées, indifférente aux jeux des deux enfants qui lui restent et qui s'amusent, hors-champ, à courir en slalomant autour des plaques funéraires. Mais surtout le réalisateur choisit de donner à ce plan une valeur graphique décuplée en privilégiant le point de vue, non pas de l'observateur invisible, mais de celui de John Booth précisément. C'est lui qui, à ce moment, un bouquet de fleurs à la main, voit Mary endeuillée. Sorti de prison après avoir commis l'irréparable, incapable d'assumer sa faute et rongé par la culpabilité, il s'est dirigé vers la tombe de celle qu'il a renversée quelques années plus tôt, à la recherche d'une rédemption impossible. À la vue de Mary, il se précipite pour se cacher derrière une pierre tombale, refusant la confrontation et ce moment de vérité qui aurait mis à nu sa honte et ravivé le chagrin de la mère. Entre ces deux êtres déchirés plane l'ombre d'un fantôme, d'une âme errante : une petite fille dont aucun flashback ne nous révélera la physionomie comme pour mieux éviter la facilité d'une émotivité gratuite et cerner davantage les réactions des adultes. Car entrer dans le monde de Mary est comme entrer dans un monde de souvenirs avec la mort comme partenaire, et quitter le présent, le laisser à distance. Emmurée dans son silence, et alors que les rayons du soleil caressent son visage, Mary présente ce mélange d'abandon et de tragique qui embrase tout le film.



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