Sean Penn est un cinéaste trop rare. Ses trois
premiers films, de Indian Runner (1991)
à The Pledge (2001), en passant par Crossing Guard (1995), répètent comme
une longue plainte douloureuse, des
déchirures familiales qui n'en finissent pas de hanter celles et ceux qui
tentent malgré tout de survivre. Dans Crossing
Guard, Mary (Anjelica Huston) a perdu, il y a six ans sa fille Emily,
renversée par un chauffard ivre, John Booth (David Morse). Revêtue d'un manteau
noir au milieu d'un océan de verdure que tentent d'égayer, de manière
discontinue, cinq bouquets de fleurs, Mary n'est plus, le sol s'étant dérobé
sous ses pieds. Assise sur le gazon du cimetière, surplombant la plaque
funéraire et le bouquet qui l'ornemente, elle s'abandonne à ses pensées en fermant
les yeux, fissurée de l'intérieur, comme terrassée par sa blessure, Vers qui ou vers quoi, son esprit erre-t-il à cet instant ? Vers Emily ? Sans l'ombre d'un
doute, mais aussi vers sa vie passée, vers son ex-mari Freddy (Jack Nicholson)
qui n'en finit plus de s'autodétruire, ou encore vers cet horizon lointain qui
pourra peut-être un jour lui permettre de se relever. Sean Penn multiplie les
signes d'une proximité avec l'affliction et la détresse en filmant Mary seule
dans le cadre, les jambes repliées, indifférente aux jeux des deux enfants qui
lui restent et qui s'amusent, hors-champ, à courir en slalomant autour des
plaques funéraires. Mais surtout le réalisateur choisit de donner à ce plan une
valeur graphique décuplée en privilégiant le point de vue, non pas de
l'observateur invisible, mais de celui de John Booth précisément. C'est lui
qui, à ce moment, un bouquet de fleurs à la main, voit Mary endeuillée. Sorti
de prison après avoir commis l'irréparable, incapable d'assumer sa faute et
rongé par la culpabilité, il s'est dirigé vers la tombe de celle qu'il a
renversée quelques années plus tôt, à la recherche d'une rédemption impossible.
À la vue de Mary, il se précipite pour se cacher derrière une pierre tombale, refusant
la confrontation et ce moment de vérité qui aurait mis à nu sa honte et ravivé
le chagrin de la mère. Entre ces deux êtres déchirés plane l'ombre d'un fantôme,
d'une âme errante : une petite fille dont aucun flashback ne nous révélera la
physionomie comme pour mieux éviter la facilité d'une émotivité gratuite et
cerner davantage les réactions des adultes. Car entrer dans le monde de Mary
est comme entrer dans un monde de souvenirs avec la mort comme partenaire, et quitter
le présent, le laisser à distance. Emmurée dans son silence, et alors que les
rayons du soleil caressent son visage, Mary présente ce mélange d'abandon et de
tragique qui embrase tout le film.
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