mardi 6 novembre 2018

L'adieu chez Clint Eastwood




Les plans qui clôturent Pale Rider, le Cavalier solitaire (Pale Rider, 1985) sont empreints d’une mélancolie à la hauteur du lyrisme exacerbé dont fait preuve Clint Eastwood dans son onzième long-métrage en tant que réalisateur. Vue de dos, la jeune Megan Weeler (Sydney Penny, photogramme 1) fouille l’horizon de ses yeux à la recherche de celui dont elle est tombée amoureuse, un énigmatique prédicateur, surgi de nulle part, ayant fait irruption dans une communauté de modestes chercheurs d’or, en lutte contre un riche propriétaire et exploitant, Coy LaHood, qui veut, par tous les moyens, accaparer les terres qui échappent encore à son contrôle. Ce schéma narratif de mineurs ou d’éleveurs indépendants face à des barons du bétail ou à des compagnies minières,  est l’un des thèmes classiques du western, qui montre d’ailleurs, que la lutte des classes n’est pas une vaine expression au pays du capitalisme triomphant : Shane (L’Homme des vallées perdues de George Stevens, 1953), La Porte du Paradis (Heaven’s Gate de Michael Cimino, 1980) ou encore Open Range de Kevin Costner (  2003) montrent cette opposition frontale entre deux intérêts divergents à propos de l’occupation et de l’exploitation de la terre. Ayant envoyé ad patres Coy LaHood et ses tueurs à gages, le prêcheur, comme autrefois Shane (Alan Ladd) , choisit de poursuivre, insaisissable et mystérieux, sa route vers les cîmes enneigées, sous un ciel gris et vide, pour se fondre progressivement et définitivement dans le lointain (photogramme 2). À la jonction de l’Homme sans nom des films de Sergio Leone et du fantôme de L’Homme des hautes plaines (High Plains Drifter, Clint Eastwood déjà, en 1973), le cavalier reste sourd à l’appel désespéré de Megan qui se tient loin derrière, devant ces montagnes aussi majestueuses qu’inhospitalières et qui semblent l’avaler. « Je t’aime ! » dit-elle simplement d’une voix dont l’écho se perd dans la blancheur de la vallée. Presque femme, Megan exprime une sourde exaltation d’un sentiment contrarié. Assumant cet amour impossible, elle projette son cri à la face du monde, à ces montagnes vides qui envahissent la majeure partie de l’horizon pour mieux signifier la perte de celui dont elle ne saura finalement rien, si ce n’est qu’il aura permis à la petite communauté des chercheurs d’or de se libérer de l’emprise du tyran local. Les tons froids des deux photogrammes contribuent à élargir encore l’espace dans lequel évoluent les deux protagonistes qui se rejoignent néanmoins dans une même solitude. L’absence de point de fuite interne à l’image contribue à rendre plus aléatoire, à ce moment-là, la destinée de Megan et du prêcheur. Si la première peut désormais mesurer ce qu’elle attend de la vie, le deuxième, une fois sa mission accomplie, met un point final à ce que fut son passé, mais avec devant lui un futur improbable. Filmée dans le cadre du chaînon Sawtooth (Idaho) appartenant aux Montagnes Rocheuses, cette séquence dont le romantisme le dispute à la grâce qui se dégage de Megan, est une des plus belles du cinéma de Clint Eastwood.



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