Les
plans qui clôturent Pale Rider, le Cavalier
solitaire (Pale Rider, 1985) sont
empreints d’une mélancolie à la hauteur du lyrisme exacerbé dont fait preuve
Clint Eastwood dans son onzième long-métrage en tant que réalisateur. Vue de
dos, la jeune Megan Weeler (Sydney Penny, photogramme 1) fouille l’horizon de
ses yeux à la recherche de celui dont elle est tombée amoureuse, un énigmatique
prédicateur, surgi de nulle part, ayant fait irruption dans une communauté de modestes
chercheurs d’or, en lutte contre un riche propriétaire et exploitant, Coy LaHood,
qui veut, par tous les moyens, accaparer les terres qui échappent encore à son
contrôle. Ce schéma narratif de mineurs ou d’éleveurs indépendants face à des
barons du bétail ou à des compagnies minières, est l’un des thèmes classiques du western, qui
montre d’ailleurs, que la lutte des classes n’est pas une vaine expression au pays
du capitalisme triomphant : Shane
(L’Homme des vallées perdues de
George Stevens, 1953), La Porte du
Paradis (Heaven’s Gate de Michael
Cimino, 1980) ou encore Open Range de
Kevin Costner ( 2003) montrent cette
opposition frontale entre deux intérêts divergents à propos de l’occupation et
de l’exploitation de la terre. Ayant envoyé ad patres Coy LaHood et ses tueurs
à gages, le prêcheur, comme autrefois Shane (Alan Ladd) , choisit de
poursuivre, insaisissable et mystérieux, sa route vers les cîmes enneigées,
sous un ciel gris et vide, pour se fondre progressivement et définitivement dans
le lointain (photogramme 2). À la jonction de l’Homme sans nom des films de
Sergio Leone et du fantôme de L’Homme des
hautes plaines (High Plains Drifter,
Clint Eastwood déjà, en 1973), le cavalier reste sourd à l’appel désespéré de
Megan qui se tient loin derrière, devant ces montagnes aussi majestueuses
qu’inhospitalières et qui semblent l’avaler. « Je t’aime ! » dit-elle simplement
d’une voix dont l’écho se perd dans la blancheur de la vallée. Presque femme,
Megan exprime une sourde exaltation d’un sentiment contrarié. Assumant cet
amour impossible, elle projette son cri à la face du monde, à ces montagnes vides
qui envahissent la majeure partie de l’horizon pour mieux signifier la perte de
celui dont elle ne saura finalement rien, si ce n’est qu’il aura permis à la
petite communauté des chercheurs d’or de se libérer de l’emprise du tyran local.
Les tons froids des deux photogrammes contribuent à élargir encore l’espace
dans lequel évoluent les deux protagonistes qui se rejoignent néanmoins dans
une même solitude. L’absence de point de fuite interne à l’image contribue à
rendre plus aléatoire, à ce moment-là, la destinée de Megan et du prêcheur. Si la
première peut désormais mesurer ce qu’elle attend de la vie, le deuxième, une
fois sa mission accomplie, met un point final à ce que fut son passé, mais avec
devant lui un futur improbable. Filmée dans le cadre du chaînon Sawtooth (Idaho)
appartenant aux Montagnes Rocheuses, cette séquence dont le romantisme le
dispute à la grâce qui se dégage de Megan, est une des plus belles du cinéma de
Clint Eastwood.
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